« À force de boire du vin de messe, on avait tous notre plumet. Au bout de deux heures, tout le monde était nu comme le jour de sa naissance, les hommes comme les femmes… Un c… nous lâchait, un autre nous prenait […] Résultat : ils m’ont mise enceinte et sûrement deux ou trois autres […] Ils ont profité de moi, de ma confiance, de mon honnêteté et surtout de ma foi. Je porte un bébé dans mon ventre, et je ne sais même pas qui est le père, parce qu’ils me sont tous passés dessus… »
Les points de suspension au cul du petit c… sont placés là pour ne pas déflorer l’intrigue du livre de l’immense écrivain sicilien Andrea Camilleri « La secte des anges » excellemment traduit, comme toujours, par Dominique Vittoz.
C’est pour moi l’un des meilleurs livres de Camilleri dans une bibliographie somptueuse (1). Je suis addict de Camilleri avec sa langue surprenante, ses romans fondés sur des faits réels exclus de l’histoire officielle. Inventif, maître l’enquête, Camilleri distille un humour savoureux, une prose jubilatoire qui vous insuffle un moral d’enfer.
J’aurais pu en rester là mais par l’odeur du fromage alléché je n’ai pu résister à vous citer ce court passage :
« L’enseigne au-dessus du magasin annonçait : « Gerardo Pace, alimentation générale ».
« Bonsoir, monsieur Pace.
- Bonsoir », répondit l’homme pris au dépourvu.
L’échoppe était déserte. Teresi apincha sur le comptoir trois ou quatre meules de fromage dont un caciocavallo. Ce devait être la spécialité de la maison.
« je cherche un caciocavallo de Ragusa. Un de mes chers amis, maître Giallonardo, m’a dit que vous en aviez peut-être. »
L’épicier se leva. Gros et gras, il était benouillé de sueur.
« Pour sûr que j’en ai. C’est pas la chose de dire, mais je suis le seul à en vendre dans tout Palizzolo *. »
Il entra dans sa boutique, l’avocat à sa suite.
« Combien je vous en mets ? »
Teresi avait intérêt à se concilier ses bonnes grâces.
« Une entière. »
Les yeux de Gerardo brillèrent. Son chiffre d’affaires ne devait pas être mirobolant. Il est clair que ce jour-là il allait se rattraper sur son unique client.
[…]
Vous voulez autre chose ?
- Oui, repipa Teresi dans un élan d’enthousiasme. Une tomme entière de provolone doux. Et ce jambon.
- Mais comment allez-vous porter tout ça ? Voulez-vous que je vous accompagne ? »
S’il avait pu, ce bon Pace l’aurait escorté au son de la fanfare… »
* nom d'une ville imaginaire
Le caciocavallo est « une appellation générique désignant un fromage à pâte filée, typique de l'Italie méridionale, de forme ronde, en sac, fait avec le lait particulièrement gras des vaches de la race Podolica, avec seulement l'ajout de présure, de ferments lactiques et de sel. Il est parfois fait usage de paraffine pour sa conservation.
Typique de toutes les régions qui ont formé le Royaume des Deux-Siciles, il avait une telle réputation, qu'il inspira des dictons populaires tels que « finir comme du caciocavallo », par analogie à sa forme, étranglée par une corde dans la partie haute. Ses variétés les plus connues sont le Caciocavallo Silano, le caciocavallo sicilien, qui à son tour peut être du Caciocavallo Ragusano DOP ou du Caciocavallo de Godrano, ou du Caciocavallo Podolico.
Depuis sa reconnaissance communautaire en tant que Ragusano, ce fromage a perdu sa désignation historique de Caciocavallo di Ragusa. Fromage à pâte demi-dure fait de pâte filée fabriqué exclusivement à partir de lait de vache de race Modica il est produit dans la province de Raguse et dans la province de Syracuse.
Le fromage a la forme d'un parallélépipède à section carrée avec des coins arrondis. Le poids de chaque forme est entre 10 et 16 kg. La croûte est mince, lisse, de couleur jaune paille. La pâte est blanche ou jaune pâle, compacte, avec des petits trous. Jeune il est doux et fondant en bouche, il devient plus corsé et épicé avec la maturité.
Un peu d’histoire
L'histoire du fromage en Sicile est très ancienne, elle commence avec les Phéniciens dans les communautés insulaires. Homère et Aristote nous apprennent que, en fait, déjà à cette époque, la Sicile était habitée par des bergers qui connaissaient les techniques de la transformation du lait et la préparation de fromage de brebis.
Les premières références qui témoignent de l'âge du fromage « pecorino » remontent à Homère qui, dans l'un des passages les plus célèbres de L'Odyssée raconte l’histoire d’un berger de Polyphème fabricant des fromages. Aristote lui met l'accent sur le processus «typiquement Sicilien »de transformer le lait en fromage, en soulignant son goût unique.
En Sicile, pendant longtemps les produits du pastoralisme étaient la seule monnaie d'échange possible. Pline l'Ancien dans Naturalis Historia, rappelle que la Sicile exportée à Rome la « chèvre d'Agrigente ». C’est de cette très ancienne tradition fromagère que découle la grande variété de fromages fait avec du lait races indigènes et des processus traditionnels : outre les deux fromages bénéficiant d'une appellation reconnus (Ragusano DOP et Sicilienne Pecorino DOP), Fiore Sicano, Provola la Nebrodi, Provola Madonie, Cosacavaddu Hybléen, Maiorchino…
(1) Quelques-unes de mes chroniques sur les livres de Camilleri
- La disparition de Judas link
- La vie de 10 nonnes pour celle de l'évêque d'Agrigente : une histoire sicilienne link
- Le feuilleton coquin de l’été des Bons Vivants : « Ta femme te fais cocu avec le commissaire divisionnaire. » link
- Le feuilleton coquin de l’été des bons vivants : « Tâche voir de pas me faire mal, je suis une petite nature. »link
- Les bonnes feuilles de l’été de tonton Jacques « Giurlà, déjà benouillé de sueur, sentit qu’il durcissait dans son pantalon »link