L’étroitesse d’esprit qui règne en maître sur les réseaux sociaux me glace.
Pour exorciser cet effroi j’emprunte des chemins de traverse, loin du bruit, de la fureur journalière, du bal des ego, du mépris des autres…
Bienheureux ceux qui marchent sur la gueule des autres sans même s’excuser, ils sont les rois du monde.
Être soucieux des autres est la pire incongruité de notre époque, tout pour ma gueule, rien pour les pauvres idiots qui s’efforcent de privilégier le cœur, la sensibilité, une forme de poésie courtoise faite d’attention et de sincérité.
Exercer mon droit de retrait !
Gagner l’île de mon imaginaire, loin de tout ce qui me touche et me déglingue. Ne pas geindre, se plaindre, le corps se charge de vous rappeler que la vraie douleur se niche en lui.
Résister !
Dans une chronique du 18 septembre 2010 je notais :
J’aime les originaux, les gentilshommes en sabots, les francs-tireurs, ceux qui ramène la langue à l’essentiel en la dépouillant des artifices inutiles : économe, comme le petit couteau du même nom servant à éplucher les légumes, car la saveur n’est pas dans la quantité mais le peu.
Son titre : « La cuisine émoustille l’âme : je choisis mon pain entre cent, à des lieues, et je foule mon vin moi-même... »
J’y évoquais Joseph Delteil à propos de son livre La cuisine Paléolithique.
Celui-ci avait préfacé le seul livre écrit en français par Henri Miller J’suis pas plus con qu’un autre
« J’ai des amis du haut en bas comme le ramoneur, de toutes gueules et de toutes couleurs » déclarait l’homme de Pieusse dans l’Aude.
Lorsqu’il recevait aussi bien de grands écrivains comme Henry Miller que des gens de peu, il levait son verre de Blanquette, en utilisant la formule rituelle audoise au moment de trinquer :
« A la bonne tienne.
- Sensible.
- Mêmement. »
« La cuisine paléolithique, c’est la cuisine naturelle, celle qui apparut dès le commencement par pur instinct, simple appétit entre l’homme et le monde. La nature des choses. »
[…] « La civilisation moderne, voilà l’ennemi. C’est l’ère de la caricature, le triomphe de l’artifice. Une tentative pour remplacer l’homme en chair et en os par l’homme robot. Tout est falsifié, pollué, truqué, toute la nature est dénaturée. Voyez ces paysages métallurgiques, l’atmosphère des villes corrompue (les poumons couleur de Louvre), les airs et leurs oiseaux empestés d’insecticides, les poissons empoisonnés jusqu’au fond des océans par les déchets nucléaires, partout la levée des substances cancérigènes, la vitesse hallucinante, le tintamarre infernal, le grand affolement des nerfs, des cœurs, des âmes, à la chaîne, à la chaîne vous dis-je… »
[…]
« Quant à l’alimentation… le pain, le vrai pain est mort. Vous savez comment on dégerme, énerve, décervelle le brave blé (après quoi il reste il est vrai l’amidon, sans doute pour les lavandières du Portugal). Comment on sophistique toutes choses, à force de bromures, de carbonates de magnésie, de persulfates d’ammonium, etc. Vous consommez le lait conservé à l’aldéhyde formique, les épinards verdis au sulfate de cuivre, le jambon au borax, le vin fuschiné, etc.
C’est l’alimentation chimique !
Ils appellent ça le progrès. Mais entre l’hippopotame dans son marigot, le lézard au soleil et l’homme au fond de sa mine, où est le progrès ?
Il s’agit de faire front, de retrouver terre, de redevenir des sauvages, vierges de sens et d’esprit comme au premier matin…
À l’origine, les nourritures naturelles de l’homme sont les bêtes et les plantes de son territoire, le mammouth, le caviar, l’huître, la truffe, les insectes, les fruits…
Tout cela spontanément, à la fortune de l’heure. Le premier lièvre fut un lièvre brûlé dans un feu de forêt. La pomme d’Eve était un fruit, tout simplement. Le fameux rouget aux olives noires a jailli tel quel de l’écume de la mer, comme Venus.
L’alimentation n’est que la respiration de l’estomac, une fonction, un jeu.
L’homme mange comme le lion, la libellule, la dionée ou l’h²O. Les saveurs les plus ingénues, les mariages de saveurs les plus simples sont les plus parfaits.
A ces naïves époques, attraper un poisson était aussi important que de faire l’amour, et roupiller au soleil aussi savoureux que de lire Baudelaire. Entre la nature et la nature de l’homme il y a métabolisme exquis, entière transsubstantiation, par longueur d’onde, ambiance, osmose, sympathie, écho.
D’où que la nourriture a double fonction, elle répond au rêve de notre âme, comme à l’appétit de nos entrailles. Elle nourrit, mais aussi, mystérieusement, elle guérit. »