Exceptionnel : sur le ring L’Antonin et Louis 2003 du mas de la Seranne de Jean-Pierre Venture, le Jadis 2002 de Didier Barral dont Venture dit « c’est un dingue...un extrémiste. » et le « Bien Décidé » 2003 de Depardieu dont Venture dit « ce n’est pas du vin, ça n’a rien à voir avec du vin. C’est du show-biz. » Bonjour l’ambiance ! C'est Paul Amar qui serait content de voir les gants de boxe sortis pour mettre notre Depardiou national dans les cordes.
Tout ça n’est pas du pur jus Berthomeau mais du Robert V Camuto dans son livre « Un américain dans les vignes » qui vient d’être traduit et publié chez Michel Lafon. La quatrième de couverture dit fort justement « au fil de ses pérégrinations dans nos terroirs, Robert Camuto nous offre un savoureux tableau de la France et des Français : un très bel hommage à notre amour du Bien-Vivre. » Vous vous doutez bien que le Secrétaire Perpétuel autoproclamé de l’Amicale du Bien Vivre dites des Bons Vivants apprécie l’absolue candeur de notre américain arpentant la France profonde en nous livrant, sans langue de bois, des portraits savoureux de François des Ligneris le « rebelle », de Jean-Bernard Siebert de Wolxheim, de Claude Martin en Provence, de Cyrille Portalis le « malade de Bandol », de Pierre Acquaviva le Corse, de Jacques Mossé à Ste Colombe, de Jean-Michel Stephan dans la Côte Rôtie, de Robert Plageoles à Gaillac entre autres...
Bien évidemment, le morceau de bravoure se niche dans le grand amphithéâtre de South of France du côté d’Aniane où selon Camuto cette « petite ville fatiguée, typique du Languedoc... se situe au carrefour d’évènements singuliers » En vrac : « une géologie préhistorique offrant aux collines alentour des sols chargés de pierres déposées par les anciennes rivières, de rouges sédiments glaciaires, de calcaire et de sable », l’arrivée en 1971 d’Aimé Guibert, industriel du cuir dans un vieux moulin de la vallée de Gassac, l’affaire Mondavi en 20000 et l’irruption en 2003 de Gérard Depardieu et son associé Bernard Magrez.
Je vous propose donc de lire la relation du « grand match » indiqué en incise de ma chronique. Comme le dirait Eugène Saccomano « On refait le match... » Bonne lecture !
« À midi, je débouchai trois bouteilles dans la cave : l’Antonin et Louis 2003 du mas de Seranne, le Depardieu de la même année, et un Jadis 2002 de chez Barral. J’enveloppai les bouteilles dans des feuilles de papier alu pour le plaisir de cacher leur identité.
À 17 heures, nous sommes descendus dans la cave avec une saucisse, du pain et des verres. Mes compagnons de dégustation étaient Philippe, un Français, un « nez » naturel qui travaillait près de Grasse pour une grande usine de parfums et vendait dans le monde entier des arômes destinés à toutes sortes de choses, du parfum au chewing-gum en passant par les produits culinaires ; Ken, un américain ingénieur en logiciels qui, dans sa jeunesse, avait étudié la viticulture en Alsace, avant de travailler en Californie sur le célèbre Opus One de Mondavi ; et Daniel, un enfant de l’après-guerre qui avait grandi en Alsace dans les vignes de son père.
Je servis d’abord le mas de la Serrane qui déclencha au nez beaucoup de bruits approbateurs : « Mmmmm... », « Du fruit... », « Des arômes de liqueur... », « Raffiné... », « Du velours... ». Pour mes trois invités, c’était un vin de la vallée du Rhône. Ken s’aventura à suggérer le nord de la vallée du Rhône, peut-être la Côte Rôtie. Il estima le degré d’alcool à 14 degrés.
Le vin suivant était le Depardieu.
– Oh, Seigneur ! s’exclama Philippe en faisant une grimace de dégoût dès la première gorgée. Ce n’est pas du vin, c’est du porto ou du vermouth. C’est pour l’apéritif. Pour les amateurs de... se whisky.
Je ne résistai pas au plaisir de lui demander à quelle personnalité célèbre ce vin lui faisait penser.
- À Fidel Castro !
- Ouaou, c’est un dragster, dit Ken, qui fixa de nouveau le degré d’alcool avec précision. Au moins 15 degrés... Il me rappelle certains Zinfandel californiens.
- Je suis d’accord, approuva Philippe. Ce n’est pas un vin français. C’est un vin du Nouveau Monde. D’Afrique du Sud, peut-être.
On passa au vin de Barral.
- Classique, dit Daniel.
- Classique, dit Ken en écho. Français, peut-être italien... Sec.
- Hugo Chavez ! s’exclama Philippe, comme si le résidu du deuxième vin (la création de Depardieu) l’amenait à faire une fixation sur les dictateurs latino-américains.
Lorsque j’eus découvert les bouteilles, la discussion redémarra, sur le vin de Depardieu notamment. Nous étions tous d’accord pour dire que c’était le genre de chose que l’on attendait de lui, un gros vin poussif et pompeux, un vin de bande dessinée, le vin d’un gros Obélix boulimique. Sur le devant de la bouteille, une étiquette gris anthracite, façon pointe de diamant, donnait le nom du vin et citait Aniane en caractères métal cuivré. On lisait en-dessous :
Gérard Depardieu
Acteur
Propriétaire de vignobles
Bizarre qu’il ait choisi de se présenter d’abord comme un acteur... Quelques mois plus tôt, après une série de flop au box-office national, Depardieu avait annoncé à grand bruit, sur un plateau de tournage, sa décision de se retirer du cinéma – « Je n’ai plus rien à prouver ». L’acteur de cinquante-six ans affirmait vouloir se consacrer à ses vastes vignobles.
Autre bizarrerie, après que l’identité du vin eut été révélée, je notai que Philippe faisait quelque peu machine arrière et revenait sur ses impressions.
- Évidemment, tous les vins sont bons, dit-il, ajoutant que celui de Depardieu prouvait que la France était capable de produire des vins de style Nouveau Monde. C’est un vin que j’aimerais offrir à mon père, poursuivit-il. Il déteste Depardieu, mais c’est exactement le genre de vin qu’il aime.
Philippe avait-il une âme de groupie ? Sa fierté gauloise avait-elle été piquée au vif ? Ou était-ce le réveil de quelque conflit œdipien non résolu ? Quelques minutes auparavant, il aurait presque recraché ce vin ; maintenant, il voulait l’offrir à son père.
Existe-t-il un autre liquide buvable qui soit à ce point chargé de psychologie ? Quels neurones s’étaient mis à s’agiter dans sa tête à la vue de cette étiquette ? L’industrie française du vin est experte dans ce domaine : les rayons des grandes surfaces croulent sous les appellations tapageuses et les étiquettes cherchant à imiter la classe des grands crus. Si la foi est capable de métamorphoser un vin de table en sacrement, pourquoi le marketing ne transformerait-il pas un « Lafi » ordinaire en un Château Lafite, en un modeste Lafitte, voire en un honnête Lafitte ? »
Ma chronique du 7 septembre 2006 Depardieu viticulteur http://www.berthomeau.com/article-3762612.html