L’autre soir j’étais accoudé au bar de la Passerina et le papa de Justine me brancha politique : moi le rocardien pensais quoi de notre président candidat ?
- Il n’est en rien l’héritier du courant de pensée porté par Rocard…
Et puis, au jeu des questions-réponses, l’une d’elle : « aimiez-vous Mitterrand ? » m’a incité à vous parler du film d’Hélier Cisterne “De nos frères blessés” qui raconte l'histoire de Fernand Iveton, militant communiste, guillotiné après pour avoir posé une bombe dans un local désaffecté de son usine. Cette dernière n’a tué ni blessé personne. Pourtant la vie de Fernand Iveton, et de sa femme, bascule. Il est devenu un “traitre” et risque la peine capitale.
Il faut en faire un exemple
« Le nom de Fernand Iveton s’est perdu dans les eaux glacées de la guerre d’Algérie », explique l’historien Benjamin Stora, dans la préface des notes de productions du film De nos frères blessés. Cet employé à Gaz d’Algérie, né à Alger en 1926, et militant communiste n’avait pas le profil d’un héros. « Il n’avait pas la tête de l’emploi, il n’avait pas l’allure du suspect à surveiller, il était engagé, entier et combattif, mais c’était un homme ordinaire », déclare aussi Hélier Cisterne.
Cette bombe, qui n’avait pas vocation à blesser qui que ce soit, n’explosera jamais. Fernand Iveton est repéré par l’un de ses contremaitres, arrêté et torturé. Il est ensuite déféré devant un tribunal militaire, mis en place à l’époque en Algérie, dans le contexte tendu de la guerre. Jugé de manière arbitraire, il est condamné à la peine capitale.
« Mais nous sommes en pleine ‘bataille d’Alger’, où les bombes provoquent la mort de plusieurs Européens. Pour les autorités de l’époque, il faut en faire un exemple », écrit Benjamin Stora.
Fernand Iveton n’est pourtant coupable d’aucun crime. Il demande la grâce au président Coty, mais son recours est refusé après les avis défavorables de Guy Mollet, et du Garde des Sceaux: François Mitterrand.
Pendant que François Mitterrand occupe les fonctions de Garde des Sceaux, « on compte 45 guillotinés », expliquait en 2010 François Malye au Point. « Il refusera 32 demandes de grâce, en acceptera huit. Cinq avis ne sont pas connus. Retenons que dans 80 % des cas connus, François Mitterrand a refusé la grâce ».
Est-ce pour réparer ces exécutions en Algérie que le président de la République fera voter, en 1981, l’abolition de la peine de mort, comme l’affirme l’avocat Roland Dumas?
« Peut-être », déclare Hélier Cisterne.
Bien qu’intimement lié aux décisions de François Mitterrand, De nos frères blessés n’est pas un film qui l’incrimine directement. La référence est subtile: on ne devine Mitterrand que grâce à ses mains, qu’il avait l’habitude de frotter l’une sur l’autre. Ce n’est qu’à la fin du film, que le réalisateur explique l’implication du président de la République dans certains des crimes commis en Algérie par la raison d’État.
Entre un Michel Rocard qui met sa carrière de haut-fonctionnaire en jeu avec son rapport sans concession sur les camps de regroupement en Algérie ICI et un François Mitterrand vieux routier de la IVe qui laisse le couperet de la guillotine faire son œuvre, pour l’exemple d’un brave garçon qui n’a tué personne. ICI
Derrière “De nos frères blessés”, la face sombre de Mitterrand pendant la guerre d’Algérie ICI
Dans son film, Hélier Cisterne raconte l'histoire de Fernand Iveton, militant pour la guerre d'Algérie, dont le destin est intimement lié à celui de François Mitterrand.
L’Histoire :
Dans les années 50, une rencontre anodine dans un café se transforme en une relation passionnée pour Hélène et Fernand. Originaire d'Algérie, ce dernier parvient à convaincre sa dulcinée de le suivre pour commencer une nouvelle vie à Alger, dans un pays alors au bord de la guerre civile. Bouleversé par les exactions dont il est témoin, Fernand choisit de prendre fait et cause pour la libération du pays des mains et de rejoindre les rangs des partisans de l'indépendance. Malgré les pressions et les menaces des autorités françaises suspicieuses à son égard, Hélène ne cède pas et choisit d'embrasser la lutte aux côtés de son époux...
Très Bien
De nos frères blessés ICI
Drame (1h32) - 2022 - France - Belgique - Algérie
Réalisé par Hélier Cisterne
avec Vincent Lacoste, Vicky Krieps, Jules Langlade, Marc Brunet
Critique par Jacques Morice
Publié le 22/03/2022
Fernand Iveton, un nom, que l’Histoire avait effacé. Un héros ordinaire doublé d’un bouc-émissaire sacrifié. Son histoire s’inscrit dans le contexte de la guerre d’Algérie. En 1954, ouvrier tourneur dans une usine à Alger, ce jeune communiste ne supporte plus le sort réservé aux « indigènes » musulmans. Aux côtés de son meilleur ami, Henri, et de plusieurs autres camarades, il milite pour que les Arabes aient davantage de droits. La guerre n’est pas encore visible, le combat pour une Algérie libre tâtonne, source de divisions. Après avoir commencé à se rapprocher du FLN, Yveton décide un jour de poser une bombe dans son usine. L’attentat ne vise personne, il est consciencieusement planifié comme du sabotage, l’objectif étant de plonger la ville dans le noir. Mais la bombe est désamorcée et Iveton, arrêté.
La suite est à peine croyable : torture, procès qui vire à la mascarade dans un tribunal militaire, absence de soutien de la part de la métropole. Hélier Cisterne, le réalisateur remarqué de Vandal (2013), prend soin, pourtant, de juguler le pathos en apportant une forme d’innocence et de fraîcheur. Le film, construit en puzzle, avec une chronologie éclatée, est politique, mais c’est aussi une histoire d’amour, simple et forte, entre Fernand et Hélène, jeune mère polonaise, fière et entreprenante, qui a fui le régime stalinien. Le sujet du communisme, qui les oppose forcément au début, donne lieu à une scène de querelle à la fois véhémente et savoureuse. On y sent déjà leur attirance qui sera plus forte que l’idéologie.
Vincent Lacoste et Vicky Krieps forment un couple parfait. Dans leur rencontre au bal, dans les scènes de baignade ou de dîner avec les amis se dégage un parfum d’insouciance, qui rappelle parfois le cinéma populaire d’avant-guerre. Cette insouciance ne disparaît jamais tout à fait, même quand les événements prennent une tournure plus dangereuse. S’il est parfaitement conscient des risques encourus, Iveton manifeste, dans son idéalisme, une part d’ingénuité qui le voue sans doute à l’échec. Il n’empêche : sa bravoure et celle de son épouse, qui ne passe pas à l’action mais sait tout et a accepté, non sans tension, de rester auprès de son homme, réveillent le souvenir de ces couples humbles et unis engagés dans la Résistance.
Avec sa sobriété, sa pudeur, De nos frères blessés est poignant, tant l’injustice racontée est criante. Et en plus de faire connaître cette affaire, le flm révèle le rôle de François Mitterrand, garde des Sceaux de l’époque, qui signa l’arrêt de mort de Fernand Iveton. Lequel ne fut pas le seul dans ce cas : quarante-quatre autres condamnés furent guillotinés en un an, alors qu’il occupait ses fonctions, de 1956 à 1957.