ilustração: GERRY SELIAN ICI
Les Russes adorent le champagne, ils le sabrent !
Les maîtres du champagne, avec leur bras armé qu’est le CIVC, font la chasse aux usurpateurs de l’appellation champagne.
Yves Saint Laurent l’a subi à ses dépens :
Le Tribunal de grande instance de Paris, dans un jugement du 28 octobre 1993, annulait la marque "Champagne" et interdisait son utilisation. A la suite d'un appel effectué par la société Yves Saint-Laurent, la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 15 décembre 1993 confirmait ce jugement de première instance. Selon la Cour, « en adoptant le nom Champagne pour le lancement d'un nouveau parfum de luxe, en choisissant une présentation rappelant le bouchon caractéristique des bouteilles de ce vin et en utilisant dans les arguments promotionnels l'image et les sensations gustatives de joie et de fête qu'il évoque, la société Yves Saint-Laurent a voulu créer un effet attractif emprunté au prestige de l'appellation Champagne ; ... de ce seul fait, elle a, par un procédé d'agissements parasitaires, détourné la notoriété dont seuls les acteurs et négociants en Champagne peuvent se prévaloir pour commercialiser le vin ayant droit à cette appellation ». YSL se pourvoira en Cassation en pure perte.
Le village suisse de Champagne n'a pas le droit de qualifier son vin de... champagne
Après des années de combat pour défendre l'utilisation de son nom, cette petite commune du canton de Vaud a dû s'incliner face au comité interprofessionnel des vins de Champagne. ICI
Vladimir Poutine a donné son feu vert, vendredi 2 juillet, à un amendement de la loi sur la réglementation des boissons alcoolisées qui fait réagir en Russie… et en France. Selon ce texte, seuls les producteurs russes auront désormais le droit d’afficher l’appellation « champagne » sur leurs bouteilles. Les vins importés devront, eux, signifier une appellation «vin à bulles». Cet amendement indique clairement que la législation russe ne tiendra pas compte de la protection de l’appellation française « champagne AOC ». (Suite 1)
Il semblerait que le Tsar Paul Ier soit le premier a avoir tenté d'introduire un vin pétillant en Russie, dans son palais de Soudak en Crimée. On sait que la première école de viticulture ouvre en 1804 et qu'en 1812, plusieurs producteurs ont établis domicile sur la péninsule ukrainienne. En 1840, le Prince Vorontsov, grand amateur de vins, créé le label Ay-Danil, mais l'intégralité des vignes, de l'équipement et du laboratoire d’œnologie sont détruits par les Anglais et les Français pendant la guerre de Crimée (1853-1856).
A la fin du 19ème siècle, les vins de Champagne ont si bien conquis les aristocrates que la Russie est devenue un débouché fort intéressant pour les producteurs français. Ceux-ci distribuent même une version plus sucrée, adaptée au "goût russe". En 1876, à la demande d’Alexandre II, Henri Roederer crée la cuvée Cristal pour la consommation exclusive des Tsars de Russie. En 1896, il fonde la Société vinicole de la Russie méridionale. L'usine de vins mousseux d'Odessa produit aujourd'hui 34 types de produits sous les marques Odessika et Henri Roederer.
C'est néanmoins le prince Léon Golitsyne, surnommé le roi du vin russe, qui est le considéré comme le père de la vinification mousseuse à la russe. Il parcourt tout l'empire avant de jeter son dévolu sur la Crimée. En 1878, il crée une cave à champagne où il teste plus de 600 variétés de raisins de différents crus et leur potentiel de production sur la mer Noire. Il sélectionne finalement plusieurs cépages: le Pinot Franc, le Pinot Gris, l'aligoté et le Chardonnay. En 1892, le prince Golitsyne débute sa production sur son domaine de Novy Svet (Nouveau Monde), selon la méthode champenoise classique, mise au point par le moine bénédictin Dom Pérignon au 17e siècle. Ce champagne, qui est nommé Paradisio, est servi au banquet du sacre de Nicolas II en 1896. Quatre ans plus tard, à l’Exposition Universelle de Paris, il est récompensé par le Grand Prix de la Coupe. Il s'agit de la première étape dans l'histoire des vins mousseux russes. ICI
(Suite 1)
En réaction à cette décision, le Français Moët-Hennessy a suspendu, le temps d’un week-end, ses exportations vers la Russie. Dans un courrier destiné à ses clients russes et auquel le quotidien économique Vedomosti a eu accès, la société française a annoncé devoir réaliser une nouvelle certification de ses produits, qui devrait coûter plusieurs millions de roubles.
Staline fit créer à la fin des années 1930 un « champagne soviétique » produit en masse, avec l’objectif de le rendre accessible à tous
Ayant accepté, dimanche 4 juillet, de se plier aux requêtes russes, elle doit changer ses étiquetages et renommer ses produits dans le respect de la nouvelle législation. Le quotidien russe rappelle que 13 % des 50 millions de litres de mousseux et champagne importés chaque année en Russie viennent de France. Moët-Hennessy représente 2 % de ce marché.
Une AOC menacée dans le monde entier
En Russie, cela fait longtemps que le terme « champagne » est utilisé sans complexe et pour toutes sortes de vins à bulles. Staline fit créer à la fin des années 1930 un « champagne soviétique » produit en masse, avec l’objectif de le rendre accessible à tous.
Au lendemain de la chute de l’URSS, ce « champagne soviétique » est devenu une marque synonyme de mousseux bas de gamme, mais toujours aussi populaire lors des grandes occasions. Un état de fait qui n’a jamais ravi les producteurs champenois, défendus par le comité interprofessionnel du vin de champagne (CIVC), et qui mènent depuis de nombreuses années une bataille destinée à protéger cette appellation contrôlée menacée dans le monde entier.
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Avec cet amendement, les autorités russes souhaitent certainement mettre en valeur les producteurs de vins pétillants locaux. Et notamment ceux de Crimée, producteurs ancestraux qui ont connu une deuxième jeunesse à la suite de l’annexion de la péninsule en 2014 et leur pleine ouverture au marché russe. La marque phare du pays, le vin criméen Novy Svet, appartient à un ami du président russe, Iouri Kovaltchouk.
Friand de viniculture, Vladimir Poutine avait fait monter l’action d’un autre géant du marché, Abrau-Durso, en janvier, après avoir signifié qu’il se verrait bien travailler dans cette entreprise à l’issue de sa carrière politique.