Jo Farrell Les pieds de Su Xi Rong
Comme ces temps-ci il fait gris sur Paris je lis.
De tout, mais en ce moment un polar d’un ancien des forces spéciales au Vietnam, Kent Anderson, qui s’est ensuite engagé dans la police de l’Oregon puis de Californie, avant finalement de devenir écrivain et professeur de littérature.
Ça vaut tous les laïus verbeux de la cotriade de sociologues gaulois tétant au sein du budget de l’État. Si vous voulez connaître les ressorts des States du sieur Trump lisez Un soleil sans espoir de Kent Anderson. Son héros, Hanson, simple flic dans la ville black d’Oakland, près de San Francisco, son double romanesque.
« On retrouve dans Un soleil sans espoir tout ce que l’on aime chez Kent Anderson : la précision de chaque phrase, la poésie de la violence, ces moments troubles dont on ne sait pas plus qu’Hanson s’ils sont réels où seulement des constructions de son imagination vérolée à jamais par les traumatismes de la guerre. »
« Tout cela a la beauté d’un désespoir qui se fait ici vacillant face à la possibilité d’une autre vie et, peut-être d’une échappatoire. C’est souvent violent, toujours d’une trouble poésie que l’on ne trouve que chez ceux qui se livrent totalement sans chercher à apitoyer, fait autant de moments de grâce que de chutes violentes et d’un humour absurde que seule la vraie vie peut offrir. C’est encore une fois, sous la plume d’Anderson, un texte sublime. » ICI
Vous allez me dire alors pourquoi chroniquer sur les pieds bandés des femmes chinoises ?
La réponse est dans le roman de Kent Anderson.
Hanson fréquente la librairie Walden Pond Books de Bernie, la cinquantaine, un juif newyorkais progressiste à l’ancienne.
Son lieu de prédilection c’est le rayon des ouvrages sérieux, datant de vingt, trente ou quarante ans.
« Certains ouvrages avaient un contenu sombre, ou trop honnête, ou trop dérangeant, ou trop évident pour survivre au-delà d’une première édition limitée. Les critiques ne s’y sont jamais intéressés et on les a rarement lus. Mais, jour après jour, tous attendaient que quelqu’un les tire des rayonnages, les ouvre et entame leur lecture, les ramène à la vie. »
Oui, tirer un livre de sa bibliothèque c’est le ramener à la vie. Les collectionneurs de vieilles reliures sont des croque-morts.
Un jour l’agent Hanson consulte la section érotique : Sade Justine, l’intégrale, Histoire d’O, plusieurs éditions du Kâma-Sûtra, il choisit « Chinese Foot Binding. The History of a Curious Erotic » et commence à le feuilleter.
« L’auteur, un Britannique du XIXe siècle, considérait que le bandage des pieds était un exemple d’inventivité humaine dans l’art du plaisir : les pieds enflés d’une femme, sa démarche hésitante, sa sensibilité recrue à la douleur, le plaisir intensifié pour l’homme quand ses mains retiennent captives les délicieuses petites chaussures en soie qui gainent les pieds endoloris pour positionner la femme docile, craintive et pourtant excitée, avant de la pénétrer. »
Alors j’ai fait une recherche :
La pratique du bandage de pieds aurait commencé durant le règne de Li Yu (ou Li Houzhu), le troisième et dernier empereur de la dynastie des Tang du Sud (937 – 975), d’abord réservée à l’aristocratie chinoise. Symbole de séduction mais aussi marque du néoconfucianisme ambiant, pour maître Kong (Confucius), la femme est un être fondamentalement inférieur à l’homme : « Une femme ne doit jamais être entendue hors de sa maison ». Alors que la société se réorganise, la pyramide des rôles laisse la femme en retrait, le bandage des pieds va alors contribuer à la cloîtrer chez elle, définitivement prisonnière du cadre, maîtresse de l’intérieur. Elle restera soumise à son mari toute sa vie durant, et à son fils aîné si l’époux a le malheur de disparaître.
Elle a été interdite en 1911.
Au-delà de toutes les femmes qui ont souffert, il y a toutes celles qui se sont battues pour l’abolition de cette pratique mutilante. L’influence des concessions étrangères fut un premier pas vers une prise de conscience des femmes chinoises. Ces Européennes qui ne se bandaient pas les pieds représentaient de par leur élégance un attrait certain sur les rares femmes de l’empire qui pouvaient fréquenter ce monde. A la fin du 19e siècle, l’Anglaise Archibald Little mène une campagne active pour l’abolition définitive de cette pratique dégradante. Cette féministe soutenue par les derniers hauts-fonctionnaires Qing fut même approuvée par Cixi, fameuse impératrice, qui, en tant que Mandchou, avait les pieds normaux. Nombre de femmes chinoises continuèrent son combat. A l’âge de 6 ans, la future écrivaine Xie Bingying arrache ses bandelettes ; la femme du poète Su Shi échappe aussi à une mutilation qu’elle dénonçait. La chute de la dernière dynastie (1911), les manifestations étudiantes du 4 mai 1919 prenant en grippe les relents féodaux confucéens achèvent de sonner la fin d’une coutume devenue dépassée, qui s’effacera toutefois un peu plus lentement dans les provinces les plus éloignées, à l’image du Yunnan, mais cela, c’est une autre histoire…
Lire ICI Les pieds bandés en Chine et ICI
19 photos des dernières femmes chinoises aux pieds bandés ICI
L'historien Jason Wordie, installé à Hong Kong, a récemment dépoussiéré le mythe pour révéler que cette pratique sexiste n'était ni plus ni moins à connotation sexuelle.
La croyance populaire voulait en effet que la position des doigts de pieds repliés vers la voûte plantaire permette de rendre les muscles des cuisses et du plancher pelvien (muscles vaginaux) plus tendus et serrés, augmentant le plaisir sexuel des hommes qui les possédaient.