Où allons-nous dîner ce soir ?
À une belle table ou dans un bouclard ?
Il fut un temps où, face à cette interrogation, certains sortaient le guide rouge, ou le Gault et Millau, d’autres se référaient à la critique dans la presse ; de nos jours ça reste encore vrai pour le guide du pneu qui garde des adeptes même si ses ventes papier sont en chute libre, du côté de la presse, qui tire le diable par la queue, c’est la Bérézina, la critique gastronomique est en perdition, elle est cornaquée par les attachées de presse des chefs étoilés, et elle débite des chroniques à la chaîne comme les saucisses de chez Fleury-Michon.
Reste pour les adorés de Pousson, qui n’écrit plus mais tortore, les entrechats du fooding ou d’omnivore et la nouvelle croisade de François-Régis Gaudry pour la bonne bouffe dans On va déguster…
Des noms, des noms, me direz-vous, ma réponse est non et non… ce serait dérisoire…
Il n'y a qu'une seule morale qui vaille dans cette histoire, une seule donnée essentielle : nous ne sommes que de dérisoires étincelles au regard de l'univers. Puissions-nous avoir la sagesse de ne pas l'oublier.
La plus belle histoire du monde - Hubert Reeves
L’écrivain-cuisinier
« Carême est unanimement respecté parce qu’il est le seul à être à la fois cuisinier et gastronome, et à l’être absolument. Grimod de La Reynière est un amphitryon sublime qui ne sait pas faire une sauce au beurre ; Beauvilliers est un restaurateur qui sait parler de sa cuisine, a compilé ses principales recettes en un recueil précédé d’un mémoire justificatif, l’Art du cuisinier, mais son texte n’a pas la portée philosophique ni même physiologique d’un écrit gastronome.
Carême au contraire, revendique un savoir que seul confère le faire, dont les hommes de lettres, aussi gastronomes soient-ils, ne peuvent se prévaloir. Il est même sévère contre les « théoriciens » - « Les arts et les métiers ont un langage propre et l’homme qui écrit sur une matière qu’il ignore se donne un extrême ridicule aux yeux des praticiens » -, notamment Grimod, qu’il respecte tout en exposant ses limites : « Ill a sans doute opéré quelque bien pour la science culinaire, mais ne fut pour rien dans les rapides progrès de l’art. C’est aux grands dîners donnés par le prince de Talleyrand lors de son ministère aux Affaires étrangères qu’est dû l’accroissement de la cuisine moderne et non à l’auteur de l’Almanach des gourmands. »
La France gastronomique Antoine de Baecque
«Le meilleur auxiliaire d'un diplomate, c'est bien son cuisinier».
Talleyrand a trois passions : la politique, les femmes et la nourriture. Selon lui, l’essentiel est de donner d’excellents repas et être galant avec les dames.
« Durant son ministère, le fidèle collaborateur de Talleyrand, le cuisinier Antonin Carême, fut continuellement présent et sera chargé de l’organisation de banquets somptueux ; certains comprennent des « extraordinaires », voire de « grands extraordinaires ». Ce sont en fait des pièces « montées, salées et sucrées, conçues comme des ensembles architecturaux », où l’œil est aussi sollicité que le goût. Antonin Carême avait comme consigne de flatter à la fois les yeux et les palais des convives et l’histoire a retenu le raffinement des plats, des présentations et des menus. Cela fonctionnait pour les repas intimes et pour les banquets. Communication politique avant l’heure, ces instructions — et le budget associé — venaient de Talleyrand qui gardait à l’esprit deux facteurs.
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30 août 2018
Le soir Talleyrand aimait « savourer des choses lourdes en compagnie de femmes légères » « Sire, j'ai plus besoin de casseroles que d'instructions. Laissez-moi faire et comptez sur Carême. »
Roi des cuisiniers, cuisinier des Rois
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le futur roi des cuisiniers et empereur des fourneaux n'est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche.
Il est issu d'une famille extrêmement pauvre. Son père est tâcheron, payé à la journée en fonction des besognes qu'on lui confie, et peut à peine nourrir sa nombreuse progéniture - pas moins de 14 enfants à charge.
Le petit Marie-Antoine vient au monde en 1784 dans un chantier de la rue du Bac à Paris et grandit au milieu des baraquements et des échafaudages.
Lorsqu'il atteint ses huit ans, son père se résout à l'abandonner, jugeant que c'est le seul de la fratrie qui pourra s'en sortir par ses facultés. Antonin est malin, curieux, travailleur : alors que tonne la Révolution française, il est vite embauché dans une gargote contre le gîte et le couvert et apprend les rudiments du métier.
À 13 ans, la chance lui sourit : il entre comme apprenti chez le pâtissier Sylvain Bailly, l'une des meilleures maisons de Paris. On est sous le Directoire et les riches Parisiens aspirent à jouir de la vie après les affres de la Terreur.
Antonin apprend vite, devient premier tourtier et se lance dans ce qui fera sa gloire : des pièces montées tarabiscotées, de splendides et compliquées compositions en pâte d'amande, nougatine, pâtisserie.
Puis il entre au service du ministre Charles-Maurice de Talleyrand qui a table ouvert dans le quartier Saint-Germain, à Paris. Entre le diplomate et le cuisinier se noue une vraie complicité. Talleyrand incite Carême à développer une nourriture raffinée, à base de légumes et de produits de saison.
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