Les réseaux sociaux, y compris la volaille des critiques, qui s’empiffre, presque tous les jours aux tables étoilées, se sont émus du sort d’un éleveur de volaille de Bresse, gilet jaune, qui criait misère dans une vidéo vue 3 557 701 fois à l’instant où j’écris.
Monsieur Macron, vous ne méritez pas de manger mes volailles »
Gilet jaune sur le dos, larmes aux yeux, cet éleveur interpelle le président : ses volailles ont été servies à l'Élysée, mais il travaille 77 heures par semaine pour 700 euros.
« Installé depuis trois ans dans cet élevage de 16.000 poulets, ce trentenaire, père d'un enfant, en couple avec une auxiliaire de vie scolaire, peine à boucler ses fins de mois. «Avec 1200 euros par mois pour vivre et deux voitures en milieu rural, on fait comment pour vivre?, demande-t-il au président de la République. Je voudrais bien que vous donniez des conseils», ajoute-t-il. Chaque mardi, sa mère est obligée de lui remplir son réfrigérateur, pour 50 euros, raconte-t-il en luttant pour ravaler ses larmes.
Sans doute Aloïs Gury a vu trop grand. Environ 150 poulets de son élevage sont déclassés chaque semaine par les abatteurs et lui achètent moins cher. Un nombre qu'un voisin estime trop élevé pour s'en sortir. Pourtant, il a changé à quatre reprises les rations alimentaires de ses poulets. Financièrement, la communauté de communes l'aide en lui louant les onze bâtiments d'élevage seulement 1 000 euros par an. »
L'Élysée dément les propos d'Aloïs Gury. «La Présidence de la République est soumise à la commande publique et ne se fournit pas directement chez les producteurs et passe par des intermédiaires qui travaillent avec plusieurs éleveurs, indique un communiqué du palais présidentiel. En l'occurrence, l'intermédiaire habituel pour les volailles de Bresse est Le Coq Saint Honoré. Il ne se fournit pas chez ce producteur pour l'Élysée. Contrairement à ce qui est dit, Aloïs Gury n'a pas fourni les volailles pour le déjeuner du 11 novembre, il s'agit de deux autres éleveurs: Cyril Degluaire et Thierry Desmaris. Aloïs Gury n'a d'ailleurs jamais fourni l'Élysée».
L’éleveur de Montrevel a posté une seconde vidéo pour apporter quelques précisions de son côté, reconnaissant qu’il n’avait jamais travaillé directement pour l’Elysée. Il a expliqué qu’il fournissait en réalité deux coopératives liées aux volailles de Bresse : Chapon Bressan et les Volailles Miéral AOP.
Si un éleveur de poulet de Bresse AOP ne s’en sort pas c’est qu’il y a quelque chose de profondément pourri dans le royaume de la France agricole d’Henri IV et Sully réunis.
J’ai des doutes, j’aimerais que les journalistes avant de relayer ce genre de complainte fasse leur travail de vérification.
Le 30 décembre 2014 j’ai commis une chronique :
J’adore l’onctueux embonpoint des poules hard de Bresse bien roulées en buvant Viola odorata de Claire Naudin…
La poularde est une femelle de race blanche, plus précisément La Blanche dite de Bény, âgée de 140 jours minimum, à maturité sexuelle ayant constitué sa chaîne d'œufs mais n'étant pas encore entrée en cycle de ponte. Deux autres races sont admises : la noire dite de Louhans et la grise dite de Bourg mais elles ne se rencontrent qu'à titre exceptionnel dans la zone délimitée.
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La volaille de Bresse : un « objet parfait» de Sandra Frossard-Urbano
« Qu'est-ce que c'est une belle volaille ?
« C'est une volaille qui est lourde, qui est grasse, qui est blanche, qui n'est pas griffée, qui est presque parfaite : » un éleveur.
L'art de « faire un bon poulet » s'achève pour l'éleveur lorsqu'il a « une bête qui a du filet » et « une jolie veine », que tout est chair et graisse. « Une bête pleine », c'est une bête qui est faite en viande, « une bête qui a du filet » (les deux blancs qui existent sur les côtes du sternum de l'oiseau). Le bon état de développement de la chair d'une volaille est apprécié à l'aide du toucher. On tient la volaille par les ailes d'une main et, de l'autre, on tâte le corps des deux côtés du sternum. « Si c'est plat, ce n'est pas la peine ; si c'est plein, rond, s'il a du filet, on peut y aller. » Le bréchet (crête osseuse verticale sur la face externe du sternum) ne doit pas être saillant ; on doit sentir le moins possible les os sous la pression de la main (Boudol 1947).
La « jolie veine » est le signe du bon état d'engraissement de la volaille. C'est une veine en relief qui se trouve sous l'aile. Passée de la couleur rouge à la couleur blanche « puisque couverte de graisse », on doit l'apercevoir lorsqu'on tient la volaille par les ailes et que, tout en soufflant, on écarte, à l'aide des doigts, les plumes qui voilent cette veine immaculée.
Pour en arriver là, le travail commence pour l'éleveur dès l'arrivée des poussins à la ferme, à l'âge d'un jour. Ils sont élevés pendant cinq semaines au maximum dans un lieu clos, à proximité du foyer, sous la chaleur d'une éleveuse artificielle et nourris avec de l'« aliment composé » acheté dans le commerce. Tout mérite d'être surveillé : la température, les quantités de nourriture et d'eau disponibles, l'état de la litière, l'absence de prédateurs, la lumière.
Les poulets seront ensuite mis en liberté. Ils absorbent, en plus du mélange céréales/lait donné par l'éleveur, les vitamines et les matières azotées contenues dans la verdure et dans les animaux vivants (mollusques, insectes, etc.) qui se développent tout particulièrement dans le sol et le climat humide de la Bresse (sol argileux, imperméable aux eaux des pluies fréquentes). Chaque sujet dispose d'au moins dix mètres carrés de parcours herbeux.
L'éleveur doit agir en tenant compte des variables de la nature : saisons, aspect et comportement des poulets, présence de prédateurs, etc. En été, par exemple, contrairement à l'expression française, et bressane, « se coucher avec (quand) les poules », les éleveurs ne peuvent pas se mettre tôt au lit. Vers huit heures du soir, le champ est « tout blanc de poulets, et c'est là, alors là, qu'ils cassent la croûte », car les vers sortent de la terre à la tombée du jour. Le matin, par contre, il faut ouvrir les poulaillers le plus tôt possible car « le poulet, il adore partir le matin de bonne heure parce qu'il y a de la rosée, il y a des tas de petites bestioles et il fait frais ».
Après avoir passé un minimum de neuf semaines en liberté, les poulets ont enfin atteint un développement convenable. Ils ont constitué leur charpente et pris l'ampleur nécessaire. Leurs muscles se sont formés (Boudol 1947), « ils ont du filet ». L'achèvement de cette première étape, la formation de la chair, ne dépend pas seulement de la culture, du travail et de la volonté de l'être humain, mais aussi des qualités du terroir. Le savoir-faire bressan et les apports de la nature se conjuguent. Mme B. N. illustre cette idée : « J'ai de la famille qui habite en Côte-d'Or. Ils ont voulu essayer de faire du soi-disant poulet de Bresse. Ils ont acheté quelques poussins ici et puis ils les ont amenés chez eux. Ils les ont nourris avec du maïs, comme on les nourrit nous. Leurs poulets n'avaient pas ce goût qu'il y a ici. [...] Je trouve que le terrain... D'abord la Bresse, elle porte son nom. Il faut faire du poulet de Bresse en Bresse : Et puis en liberté... un parcours herbeux... C'est merveilleux ça : En plein air, tant de belle herbe... Ils ramassent tout ce dont ils ont besoin pour faire qu'ils soient aussi bons : Il n'y a pas à dire [rire] : C'est ça le poulet de Bresse : »
Un onctueux embonpoint
Si la chair reste encore en grande partie produit de la nature - l'homme ne maîtrisant l'élevage que partiellement - la graisse, résultat de la prochaine et dernière étape, l'engraissement, tient beaucoup plus au travail de l'éleveur. Elle s'élabore dans une enceinte bien close, l'épinette, qu'il contrôle entièrement. C'est là que l'on raffine pour fabriquer, en déformant la nature, un onctueux embonpoint. Après la période en liberté, les poulets sont donc placés dans des cages en bois montées sur pieds et divisées en compartiments, réunies dans une salle sombre et calme, à proximité du foyer. Ils y séjournent pendant huit à quinze jours. Mais, juste avant de les enfermer, l'éleveur a bagué chaque poulet. La bague porte son nom, son adresse et le nom Bresse. De même, il a coupé les pointes des ongles des poulets pour éviter qu'ils ne se griffent. « Une griffure c'est un déclassement, ce n'est plus un objet parfait » (un éleveur).
En épinette, l'éleveur préfère donner de la « pâtée » en opposition à l'alimentation sèche (mélange céréales/lait en poudre) donnée aux poulets en liberté. On dit que les poulets sont gourmands de la pâtée. Dans certaines fermes, on la prépare en mouillant le mélange céréales/lait en poudre avec de l'eau. Chez Mme B. N., elle est faite de céréales mouillées avec du lait de vache (caillé ou frais coupé avec de l'eau) produit à la ferme. Mme B. N. croit à la supériorité du lait de vache pour la finition : « Je trouve que le lait de vache blanchit le poulet. Ça lui donne une jolie veine ; ça l'engraisse bien. »
Certains éleveurs donnent de l'aliment cuit en épinette, notamment le blé. Le cuit est présent aussi dans la pâtée ébouillantée : « On met la farine dans un seau, puis on fait bouillir de l'eau que l'on vide dessus pour l'ébouillanter, et puis ça fait gonfler votre farine. Elle est cuite un peu et puis on met du lait. » Dans le discours de l'éleveur, le cuit peut être associé à l'humide (opposé du sec), dans la mesure où la cuisson lorsqu'il s'agit de bouillie nécessite l'adjonction d'eau : « On cuit du blé [...]. C'est quand même rafraîchissant, surtout quand il fait très chaud, le poulet mange mieux que du sec. »
En épinette, les poulets n'ont à manger que ce que l'éleveur leur apporte. Ils sont nourris à heures fixes. Mme B. N., ainsi que d'autres éleveurs, nourrit ses poulets « deux fois par jour, le matin et le soir. Il faut leur donner une bonne pâtée (pas trop), qu'ils la mangent quand même assez rapidement, qu'elle ne s'oxyde pas dans les mangeoires ». L'éleveur peut aussi varier la nourriture en épinette : « Quand ils sont variés, à notre impression, ils ont plus d'appétit. »
Après tant de soins, les poulets sortent de l'obscurité et du calme de la salle d'épinette, comme d'une cure de repos et de sommeil, avec « de belles veines », signe le plus sûr d'une chair « persillée » (parsemée d'infiltrations de graisse) et savoureuse. Si ces beaux poulets peuvent enfin partir chez le volailler, nous ne sommes pas pour cela au terme de l'exposé. L'art de faire une volaille grasse atteint son summum dans l'élevage du chapon - jeune coq châtré - et de la poularde - femelle qui n'a pas encore atteint la maturité sexuelle et n'est pas encore capable de pondre ; elle n'est pas châtrée comme certains le croient ; elle a seulement subi un engraissement intensif. Le gras est leur raison d'être.
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