J’ai lu, La peau dure de Raymond Guérin, d’un seul trait ; j’y ai retrouvé, l’héroïsme du quotidien des filles que, dans mon village, on appelait « les bonnes », ces bonnes à tout faire au service des notables qui défilaient chaque matin au Bourg-Pailler pour chercher le lait de leurs patrons. De braves filles, serviables, pas gâtées par la vie. Certaines se faisaient engrosser – bien évidemment on ne savait par qui – et elles devenaient des filles-mères sur lesquelles les grenouilles de bénitier, qui fréquentaient aussi le Bourg-Pailler pour acheter le lait, jetaient l’opprobre.
De ce roman de Raymond Guérin, terminé d’écrire en juillet-août 1947, le Télégramme note avec justesse « Sorti en 1948, ce livre triptyque fait le portrait de trois sœurs, de retour d'Allemagne après avoir connu l'expérience du Service du travail obligatoire (STO). “Bonniche”, ouvrière, femme entretenue, elles éprouvent chacune diverses facettes de la vie amère des gens de peu, de la pauvreté ordinaire, enracinée dans une enfance malheureuse, et du désir désespéré d'en sortir. Si quelques rares moments de bonheur et de générosité y fleurissent, ce texte, sec comme un coup de trique, est un poignant témoignage sur la condition des femmes au milieu du XXe siècle. »

« La peau dure, c'est un roman à trois voix. Celles de trois sœurs : Clara, Jacquotte et Louison. Trois femmes fragiles, ballottées dans un monde trop grand pour elles, trop cruel aussi, un monde régi par les hommes.
La peau dure, c'est un roman extrêmement social, voire même ouvertement féministe. En cela, près de soixante-dix ans après sa première publication, il conserve une grande modernité, une résonance certaine avec notre société contemporaine.
La peau dure, c'est un véritable plaidoyer, âpre et cinglant, pour la cause des petits, des faibles, des laissés-pour-compte. »
« Clara la bonne est emprisonnée, parce qu’elle est soupçonnée d’avoir avorté ; Jacquotte la tuberculeuse subit la violence de son mari, épuisée par ses grossesses ; Louison, parvenue socialement, souffre des infidélités de son amant, du manque d’amour. »
En 2009 j’avais lu Du côté de chez Malaparte

« Parbleu ! Une fois dépassés les Faraglioni et la Monacone, soudain la côte de Matromania s’offrit à nous tout au long du sentier cimenté, aux courts escaliers de briques, courant comme un pâle serpent au flanc embaumé de la montagne. Et là, tout en bas, allongée sur l’abrupt rocher de la pointe de Massullo, solide comme une casemate, insolite comme une architecture de Chirico, avec son escalier-terrasse de trente-deux marches en forme de trapèze, montant vers le ciel, impressionnant comme un temple aztèque, et ce blanc solarium à figure d’épure dont l’audace mérita les éloges de Le Corbusier, avec des à-pics de soixante mètres au-dessus de la mer, jaillissant, libre et nue, des touffes d’euphorbes et de campanules, enfin nous apparut, solitaire et de bon augure, la casa « Come Me » : la maison « Comme moi » ! »
J’ai redécouvert Raymond Guérin en 2012 en lisant Représailles édité par Finitude (éditeur bordelais) « Mobilisé, Raymond Guérin quitte Bordeaux le 28 août 1939, pour n’y revenir que le 20 octobre 1944, « soixante-deux mois après, plus de cinq années s’étant écoulées, [le] revoici, à l’aube de la quarantaine ». Sur ces soixante-deux mois, l’écrivain en a passé quarante et un dans un stalag en Allemagne, sous les jougs de la Barbarie. C’est le Temps de la Sottise, ainsi qu’il le nomme dans les neuf cahiers qui constituent son journal de ces terribles années (…)

C’est un homme désabusé, brisé, persuadé que « nous entrons dans le siècle de la peur et des ténèbres », qui revient finalement à Bordeaux en octobre 1944, pour « boucler la boucle ».
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Et puis, alors que je m’apprêtais à écrire l’une de mes chroniques dominicales sur La peau dure, en faisant des recherches sur la Toile je lis dans le Télégramme « Raymond Guérin (1905-1955), ami de Malaparte et de Henri Calet, à qui Jean-Paul Kaufmann avait consacré la belle biographie baptisée “31, allée Damour” mérite incontestablement que l'on revienne sur son œuvre rude et implacable, nourrie, entre autres, par son expérience des camps de prisonniers en Allemagne. »
Alors là, les bras m’en tombent, moi qui croyais avoir lu toute l’œuvre de JP Kauffmann j’ignorais l’existence de cette biographie.
Ni une, ni deux, comme en plus c’est la période des vœux, je fais un petit mot à JPK qui gentiment me répond illico qu’il me lit tous les jours et qu’il va me faire parvenir « 31, allées Damour : Raymond Guérin, 1905-1955 » avec un encouragement « Et surtout ne renoncez pas ! »

Entretien avec Jean-Paul Kauffmann. Propos recueillis par Nathalie Jungerman édition du 30 avril 2004
Pourquoi et comment vous êtes-vous intéressé à Raymond Guérin ?
Jean-Paul Kauffmann : Auteur noir, désespéré, violent, Raymond Guérin ne correspondait pas à mes goûts littéraires, mais il m’a « attrapé ». Je me suis épris de son oeuvre. L’Apprenti est le premier livre que j’ai lu, je crois que commencer par ce livre ou par Quand vient la fin est le bon itinéraire. J’en ai éprouvé un choc que je n’avais pas ressenti depuis longtemps. Je m’intéresse à la littérature depuis ma jeunesse et c’est en 1978 ou 1979 que j’ai entendu le nom de Raymond Guérin pour la première fois. Il est toujours mystérieux de s’apercevoir qu’un nom s’impose à vous, que c’est le livre ou l’oeuvre qui vous choisit. Des rapports mystérieux se créent et sont inexplicables. J’ai tenté de les élucider dans ce récit biographique, 31, allées Damour. Ecrire une biographie pose un problème puisqu’à priori, la trajectoire de l’écrivain importe peu et seule l’oeuvre compte. Mais lorsque je compose mon récit, j’adosse toujours cette trajectoire à l’oeuvre. Proust était dans la contradiction, il affirmait que la vie de l’écrivain n’avait pas à être connue et pourtant il manifestait une curiosité pour des détails biographiques concernant les auteurs qu’il aimait bien. Je suis également très friand des textes biographiques et j’accepte de vivre dans cette contradiction. La biographie engendre une illusion rétrospective qui lui est propre. Quand je l’ai commencée, j’avais totalement conscience des limites du genre, et c’est aussi pour cette raison que je l’ai faite. Son écriture est certes un peu bâtarde dans la mesure où j’interviens. En même temps, j’ai essayé de lui donner une rigueur, un sérieux en citant les sources qui sont pour une large part des archives ou des textes inédits.
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Dès réception je vais lire cette biographie et je chroniquerai. De même j'attends avec impatience la sortie du nouveau livre de JPK dont je connais le thème...
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Jean Paul Kauffmann : 31, allées Damour : Raymond Guérin, 1905 1955
Depuis le café parisien "Le Rostand" Olivier BARROT présente le livre ""31, allées Damour : Raymond Guérin, 1905 1955" de Jean Paul KAUFFMANN en compagnie de l'auteur. Photos du livre.