Samedi dernier, faisant fi des usages en vigueur en notre doulce France qui font de ce jour pour beaucoup de nos concitoyens, quittant d’ordinaire leur domicile le matin pour n’y rentrer que le soir, une sorte de jour de rattrapage : les courses, le ménage, le bricolage, le repassage et moult autres activités domestiques, dans ma chronique matinale link citant Anna Arendt, qui établissait une distinction nette entre animal laborans et Homo Faber, je tentais de mettre l’accent sur la dérive du haut artisanat de la couture, de la bouche et du vin. En un mot comme en un seul magnifier ce que fait la main et souligner que la couture, fusse-t-elle haute, a besoin de petites mains, et qu’il en allait de même pour la cuisine et le vin.
N’en déplaise à certains je suis de ceux qui estiment que le Couturier, le Chef de Cuisine ou le Vigneron ne sont pas des artistes mais des artisans, ce qui sous ma plume n’a rien de péjoratif. Et pourtant ils créent me direz-vous ! Oui à leur manière, même si souvent ils ne font que réinterpréter, dépoussiérer, épurer, revitaliser, approfondir, inventer même grâce aux techniques nouvelles. L’apport de ces créateurs est incontestable et mon propos pré-dominical n’était pas de le contester mais d’introduire dans la réflexion une donnée, qui certes n’est pas nouvelle mais fort prégnante, la puissance de l’argent.
Alors, afin de prolonger mon propos, mieux l’éclairer, vous amenez à réfléchir sur une dérive que nous pouvons déjà constater dans ce que j’ai dénommé, faute de mieux, la Haute Vitiviniculture, je vous propose de lire cet extrait de L’Introduction d’un livre de Sarah Thorton « Sept jours dans le monde de l’art » chez Autrement. Ces lignes sous la plume d’un auteur qu’il serait difficile de classer dans les pourfendeurs du système libéral (elle écrit entre autre dans The Economist) sont très intéressantes pour qui veut bien prendre la peine de les lire.
« Paradoxalement, une des raisons expliquant la popularité de l’art est son coût. Les prix élevés font les titres des journaux, et ont à leur tour contribué à généraliser l’idée que l’art est un luxe et un symbole de statut social. Au cours des dix dernières années, les riches de tous les pays du monde sont devenus encore plus riches et le nombre des milliardaires s’est accru. Pour citer François Curiel, directeur de Christie’s en Europe : « Réussir comme entrepreneur ou homme d’affaires ne suffit plus. Pour être respecté et admis parmi l’élite – devrais-je parler de cirque ? » –, il faut avoir, et aimer avoir, de l’art sur les murs. »
Il ne fait pas de doute que le nombre des gens qui collectionnent, ou plutôt accumulent les œuvres d’art, est passé de quelques centaines à plusieurs milliers. En 2007, Christie’s a vendu sept cent quatre-vingt-treize œuvres à plus d’un million de dollars pièce. Dans notre monde virtuel, où tout se clone, des possessions artistiques équivalent à des biens immobiliers ; elles sont considérées comme de solides avoirs, qui ne risquent pas de disparaître. Et les maisons de vente aux enchères attirent à présent des gens qui jusqu’ici étaient plutôt tenus à l’écart de ce milieu. Comme la revente est assurée – ce qui est nouveau –, ils sont maintenant convaincus de faire un bon investissement, ce qui a rendu le marché plus fluide.
Les effets d’un marché aussi fort se sont rapidement fait sentir. Non seulement les prix sont devenus astronomiques, au désespoir des collectionneurs, mais les galeries ont doublé la surface de leurs locaux, et l’argent a fini par descendre jusqu’aux artistes, dont certains sont devenus aussi riches que des vedettes du showbiz. Les critiques remplissent les pages des journaux, les conservateurs quittent les musées pour des emplois mieux payés dans le monde des galeries. Mais le marché a aussi affecté les façons de voir, d’où les craintes que la validation d’un prix de marché ne vienne détruire toutes les autres formes d’appréciation : la critique positive, les récompenses et les expositions dans les musées. On a dénoncé certains artistes, comme Damien Hirst, dont le travail a déraillé suite à son immense envie de vendre. Même les marchands dotés d’un robuste sens des affaires vous diront que gagner de l’argent ne devrait être qu’un corollaire et non l’objectif principal d’un artiste. L’art a besoin de motifs plus profonds que la recherche du profit s’il veut conserver sa différence et sa supériorité sur d’autres formes culturelles. »
Soyez joueur : faites comme moi détournez certaines phrases vers notre cher nectar qui, après tout, n’est qu’une marchandise. Alors, à quoi bon se priver, comme le proclamait Guizot « Enrichissez-vous ! » qui est plus est, avec bonne conscience, puisque c’est sur le dos d’adorateurs du Veau d’Or.