Dans la série « le chêne français dans tous ses états » link je vous conte ce matin une belle histoire que vous auriez tort de jeter à la poubelle car bien sûr elle parle du vin, de ce vin qui se love dans les merrains (ce n’est pas du Ginsbarre mais c’est tout comme « le creux de mes reins ».
Le 21 octobre 2004, dans la salle des ventes de Cerilly il flotte un parfum d’Histoire : pour la dernière fois sont mises en ventes des chênes des parcelles de la futaie Colbert en forêt de Tronçais. La vente d’automne est toujours la plus prestigieuse mais là les happy few du tonneau savent qu’ils vont assister à la dernière vente. En 1669, le célèbre Ministre des Finances de Louis XIV par une ordonnance sur les Eaux et Forêts entreprend de restaurer les forêts royales laissées à l’abandon, dont celle de Tronçais. Avec elle, et la remarquable continuité de sa gestion, nait le mythe de la futaie droite. « Depuis le premier aménagement en futaie régulière en 1832, le choix des essences, le mode de traitement et les critères d’exploitabilité sont restés les mêmes [...] Les différents gestionnaires de Tronçais se sont appuyés sur une approche pragmatique et une bonne connaissance de l’histoire de la réserve située au cœur de la forêt. Résultat : Tronçais n’est pas une forêt plantée et la régénération naturelle assure la conservation génétique de ses chênaies. »
Fermez les yeux, imaginez-vous pénétrant en ce lieu magique : « le charme agit : on est pris par la hauteur vertigineuse de la canopée des hautes futaies, par la rectitude des fûts, par la finesse de l’écorce, par l’abondance de belles tiges, par l’esthétique des vieilles futaies, mélangées, étagées clairiérées. Puis, au fur et à mesure des sorties, on découvre les charmes cachées de la forêt : vigueur de l’osmonde royale *, les fontaines cachées dans les fonds, l’abondance des arbres monumentaux, la toponymie évocatrice... » Y aller ! Se laisser pénétrer ! Le rendez-vous est pris. Nous irons !
De ces arbres âgés de plus de 300 ans, l’Office National des Forêts en conserve une partie au titre du domaine. Les autres parcelles sont commercialisées car « passée leur limite d’âge, les arbres meurent sur pied » explique Olivier Poite de l’ONF. En 5 ans les derniers lots de la prestigieuse futaie ont été commercialisés. La dernière vente signifie la dernière coupe « ces grands chênes qu’on abat » et le dernier acheteur l’entreprise Canadell merrandier* a convié ses clients et les amis de la forêt de Tronçais www.amis-troncais.org . « Début novembre, près de 150 personnes se retrouvent près de l’étang de Tronçais, direction la futaie Colbert. Jaunes, vertes, bleues, rouges, des inscriptions bizarres, incompréhensibles, couvrent l’écorce de quelques troncs. Explication d’Olivier Poite « Ce sont les acheteurs qui font leur estimation avant la vente. Ils viennent en forêt avec leur cahier de vente de bois de l’ONF. Le trait rouge au pied de l’arbre est un martelage de l’Office. Il indique le lot à vendre. Un acheteur passe en moyenne 4 heurs sur une parcelle. Sur le tronc de l’arbre, les entreprises qui répondent à l’appel d’offre portent leurs repères, leurs indications. » La vente se fait en bloc, sur pied. L’ONF a un rôle de grossiste. Le contrat de vente prévoit un délai d’exploitation de 18 mois. Les coupes se font toujours durant l’hiver. Pour un merrandier, la qualité d’un chêne se repère à son pied plus développé, et surtout, son tronc rectiligne. Ce bois serré et régulier permettra de fabriquer des barriques d’une exceptionnelle qualité »
Je reviendrai dans une prochaine chronique sur la merranderie qui consiste à produire des merrains, c’est-à-dire des pièces de bois, généralement de chêne, fendues en menues planches, dont on fait des panneaux, des douelles de tonneaux et d’autres ouvrages. Le mot merrain est apparu deb 1624 et Buffon l’emploie pour désigner la matière du bois de cerf « Le merrain gros et bien perlé, avec un grand nombre d’andouillers forts et longs. »
Pour clore ce chapitre je vais vous narrer l’histoire du Morat, un grand chêne sessile de légende de la forêt de Tronçais vieux de 350 ans. La forêt de Tronçais « recèle 40 arbres exceptionnels par leur âge, leur taille et la qualité du bois. Il n’et pas dans la politique de l’ONF de mettre en vente ses arbres exceptionnels. Toutefois, ils ne sont pas éternels et le Morat était condamné. Il avait mal supporté la canicule de 2003, et son écorce était la proie des capricornes (variété de coléoptères). Aussi de grand chêne sessile, une variété particulièrement recherchée par les ébénistes et la tonnellerie, fut mis en vente aux enchères sur pied le 18 octobre 2005. Luc Sylvain, tonnelier et viticulteur de Libourne acquit le Morat pour la somme de 7790€. Près de 39 mètres de haut, 1,30 m de diamètre à la base du tronc, 19 m3 s’un bois d’exception. Débité en merrains puis façonnés en fûts, notre tricentenaire commença une autre vie au service de l’élevage de vins d’exception. »
« En 2009, la vente aux enchères de dix barriques bordelaises de 225 litres, décorées par des artistes plasticiens, rapporta 39000€ à l’association caritative la Voix de l’enfant ! Un record ! Ces fûts étaient pourtant vides, mais ils avaient été fabriqués avec le bois du Morat, un chêne de légende, vieux de 350 ans » www.tonnellerie-sylvain.fr
à suivre sur mes lignes...
Cette chronique n’a pu exister que par le talent de Marielle Roux du BIMA janvier/février 2005 et de Laurent Fritsch d’alim’agri janvier/février 2011 (BIMA = Bulletin d’Information du Ministère de l’Agriculture auquel alim’agri s’est substitué.