Madame,
Tout d’abord épargnez-moi l’argument classique du sexisme, la référence à l’oie dans ma citation tirée d’une pensée de Talleyrand s’applique indifféremment aux journalistes des deux sexes qui, et je le regrette, pour beaucoup d’entre eux cultivent l’approximation comme les jardiniers du dimanche les hortensias bleu sans savoir que c’est le pH du sol qui leur confère une telle couleur (mettre du sulfate d’alumine en terre pour ce faire).
Pour ma part, j’écris une chronique tous les jours sur l’Internet sans pour autant me parer, comme vous, du titre de journaliste spécialiste de quoi que ce soit. Pour autant, avant de tremper ma plume dans mes « brillantes pensées » pour écrire mes billets je me documente, je lis, je vérifie, j’analyse, je prends le temps. Tel n’est pas, me semble-t-il, votre cas, la lecture de votre prose « Vin et santé la fin d’un mythe » est un tissu de lieux communs affligeants bourrés – désolé mais le français est plein de ressources – d’inexactitudes. D’autres que moi les ont relevées alors je ne vais pas m’y attarder même si, oser écrire, que le degré élevé des vins du Languedoc serait du à la chaptalisation, confine à la disqualification immédiate : carton rouge madame ! Voir Wine News N°77 : Vin et Santé la fin d'un mythe (colonne de droite en haut du blog) http://www.berthomeau.com/pages/n-77-vin-et-sante-la-fin-d-un-mythe--3885212.html
Mais passons, vous êtes, me dit-on, journaliste santé sur France 2 dans « C’est au programme » présenté par Sophie Davant. Fort bien, il est vrai que nous sommes en permanence abreuvés, si je puis me permettre cette expression, par les médias, à la télévision tout particulièrement, de conseils en tout genre émanant de spécialistes en tout et en rien. Entre le général à la retraite pour le terrorisme, le psy de service pour les multiples chocs de la vie, la nutritionniste préparant la fonte avant la plage, l’ex-commissaire pour la sécurité, les Diafoirus modernes promoteurs d’interdits, nous avons un large choix. Entre nous ça sent la République des petits copains, la connivence et le faire-valoir...
En effet, pour vous le problème est double : tout d’abord votre média la télévision est celui qui depuis plus de 20 ans perd de plus en plus de crédibilité : de 59% en 1987, avec même une pointe à 66% en 1994, vous êtes passé au-dessous de la barre des 50% dans les années 2000, soit 48% au dernier baromètre La Croix de janvier 2010 ; des 3 grands médias traditionnels : radio (60%), journaux(55%), télévision vous êtes le moins crédible. Ensuite, dans votre média le titre de journaliste est galvaudé, déprécié, minoré par la superficialité, la rapidité, la médiocrité de beaucoup de propos tenus à l’antenne. Travaillez ! Cessez, je l’ai vérifié à chaque fois que j’ai participé à des émissions, de survoler de vagues compilations préparées par des petites mains payées au lance-pierre. Sortez de votre sous-culture ! Lisez ! Soyez curieux de tout, même des idées et des choses qui vous déplaisent. Quittez le cocon douillet des spécialistes de la Santé qui se retrouvent aux Conf. de Presse pour ensuite décliner le dossier Presse bien préparé par les services du ou de la Ministre.
Reste que le problème c’est que vous êtes le média le plus consommé par les Français ; j’emploie à dessin ce qualificatif peu gratifiant. L’important pour vous n’est pas de faire appel à l’intelligence des téléspectateurs mais de jouer sur les peurs, les craintes, l’ignorance, de promouvoir les idées reçues, de ne jouer que sur la palette de l’anxiété, de susciter de l’émotion. Vous brossez les gens dans le sens du poil c’est plus simple et c’est bon pour l’audience. Bon, je sais, vous allez me sortir un scud de derrière les tonneaux, l’arme qui tue encore plus surement que le premier verre de vin, je ne serais un stipendié de l’affreux et puissant lobby pinardier. Si ça vous fait plaisir, ne vous privez pas, j’en serais fort honoré « quand vient la fortune, les petits hommes se redressent, les grands hommes se penchent. »
Certes le média sur lequel j’écris est souvent couvert d’opprobre par certains journalistes professionnels et par des intellectuels qui voient en lui un lieu de débordement des pires instincts de notre société. Tout comme en vous écrivant je ne mets pas tous les journalistes de la télévision dans le même panier pour l’Internet se côtoient le meilleur et le pire mais il n’en reste pas moins vrai que c’est un réel espace de Liberté beaucoup moins sujet aux pressions des lobbies et autres groupes de pression affichant leur bien-pensance comme celui que vous promouvez dans votre émission. Ceci écrit, depuis son apparition dans l’enquête de la Croix l’Internet progresse chaque année en termes de crédibilité : 23% en janvier 2005 à 35% en janvier 2010.
Sachez Madame que la vérité est complexe, en général provisoire, et souvent ambivalente, et qu’un bon journaliste doit agir avec discernement afin de proposer à ses auditeurs, lecteurs ou téléspectateurs non des vérités en kit du style des vôtres « Vous pensiez qu’un ou deux verres de vin rouge par jour étaient bons pour le cœur ? Erreur... » mais du matériau pour chacun d’entre eux puisse exercer sa faculté de jugement. Sans doute est-ce trop vous demander ! Vous vous contentez « d’arborer des opinions toutes faites, en général inspirées par l’opinion dominante » c’est tellement plus confortable. Mais bon vous allez me taxer de vieux réactionnaire mais comme l’écrit Olivier Bardolle dans la foulée de Philippe Murray « Deux millénaires d’efforts gigantesques sont réduits à cette postmodernité cafardeuse dans laquelle se traîne le dernier homme en poussant son caddy au supermarché du coin. Des millions d’années pour parvenir à se tenir debout et quelques décennies pour se retrouver à plat ventre sur le canapé du salon devant la Star Ac. »
Sans manier un quelconque mépris à votre endroit – « le mépris doit être le plus mystérieux des sentiments » – ceci est votre univers pas le mien ! Mon minuscule média, lui, petite chiure de mouche sur la Toile, parfois plein de bruit et de fureur, existe depuis plus de cinq années et s’honore d’être un espace de liberté citoyen où les informations et les opinions exprimées s’appuient sur des dossiers étayés. Les études dont vous faites état dans votre article les avez-vous lues dans leur intégralité ou vous vous êtes-vous contentée de reproduire quelques conclusions glanées dans des dossiers de presse ou des abstracts de prêt à penser ? La vulgarisation scientifique à des exigences intellectuelles qui dépassent le simple survol ou la compilation. Mais tout va si vite à la télévision, à propos pourquoi diable n’entendons-nous plus parler du fameux prion qui devait faire, selon vos semblables, des ravages dans la population ? Notre santé est un bien trop précieux pour la confier à de soi-disant spécialistes qui se disent journalistes.
Bien évidemment je ne fais aucune illusion sur l’impact auprès de vous, une dame de la télévision, du service public, qui cause chez Sophie Davant dans « C’est au Programme » les lundis, mardis, jeudis et vendredis à 9h45 pour nous aider « à optimiser notre alimentation et notre équilibre » (sic), de cette adresse émanant d’un manant insortable qui pour son équilibre fait du vélo dans Paris, mange bien, boit comme il faut, passe son temps à écrire, et autres loisirs de qualité dont il ne fera pas ici état afin de rester dans le « politically correct ». Pour tout vous avouer j’ai commis ce papier par pure hygiène mentale et non en espérant influer sur la conception que vous vous faites du métier de journaliste. Sans affirmer que votre cas, et que celui de certains de vos confrères, sont désespérés, permettez-moi pour ma chute de reprendre à mon compte l’interrogation titre de François Dufour, journaliste lui-même, « Les journalistes français sont-ils si mauvais ? » http://www.berthomeau.com/article-31922860.html paru en 2009 chez Larousse à dire vrai.
Continuez de veiller, comme du lait sur le feu, chère Madame, sur notre alimentation et notre équilibre, les veaux que nous sommes seront bien gardés. Oui, à la manière du banc-titre de votre photo ci-dessus où vous affirmez au nom de toutes les femmes sans doute « cet été je m’occupe de mes jambes » moi je vais me contenter de m’occuper de mes neurones car, dit-on, c’est l’élixir de l’éternelle jeunesse juste avant, comme tout un chacun, de mourir de quelque chose.
Bien à vous.