Commençons la semaine avec lenteur, laissons-nous aller au doux plaisir d’une lecture agréable qui nous mène à la quête du vin de tous les jours, en Toscane où l’automne est un doux prolongement de l’été. Là-bas c’est aussi le temps des fêtes de village remontant à d’antiques traditions, alors prenons le temps, pendant un bref instant, il sera toujours temps de se remettre à l’ouvrage. L’auteur, une américaine, professeur de littérature à San-Franscisco venue en Italie pour changer le cours de sa vie, découvre au fil des pages que les Italiens prennent plus de temps pour vivre. Enfin je vous offre un pastel d’un peintre breton : Carfantan séduit par les paysages de Toscane.
« Gita, un de mes mots préférés : une balade. Je m’attendais ce matin à voir Ed prendre le chemin des terrasses d’oliviers, son sarcloir à la main. Mais je le trouve le nez dans l’Atlas vinicole d’Italie, qu’il consulte souvent au petit déjeuner, pour me dire bientôt : « On va à Montepulciano. On n’a plus beaucoup de vin.
- Parfait. Je veux passer chez le pépiniériste pour acheter du statice à planter sous le noisetier. Et on prendra de la ricotta fraîche dans une ferme quelque part. »
C’est pour cela que nous habitons ici, non ? Au cours de nos longs travaux de restauration, j’ai pensé par moments n’être venu en Italie que pour arracher le lierre et repeindre les portes. Aujourd’hui, enfin, le gros œuvre est terminé, et la maison – je ne dirais pas finie, car les vieilles demeures ne le sont jamais – ressemble à une vraie maison.
Nous allons donc nous réapprovisionner en sfuso, au litre. Bien des viticulteurs produisent un vin de table à usage domestique, pour les amis et les clients locaux. La plupart des Toscans ne boivent pas de vins en bouteille chaque jour ; soit ils le font eux-mêmes, soit ils connaissent quelqu’un, soit encore ils prennent du sfuso. Prévoyant, Ed lave notre énorme dame-jeanne et le récipient chromé d’acier inoxydable au robinet rouge, une innovation qui menace d’éteindre la tradition dame-jeanne.
Une fois celle-ci remplie, pour que le vin ne s’oxyde pas, nous avons appris à verser une rasade d’huile d’olive par-dessus, qui forme un joint, avant d’enfoncer un bouchon de la taille d’un poignet. Notre moderne « bonbonne » est dotée d’un couvercle plat, lui aussi inoxydable, qui flotte à la surface du vin. On verse un léger filet d’huile d’olive insipide dans le mince espace qui se trouve entre le couvercle et les bords, puis on ferme le tout sous un autre couvercle. Lorsqu’on petit robinet en bas pour remplir son pichet, le couvercle mobile descend avec le vin, et le joint reste intact.
Les familles qui disposent de sept ou huit dames-jeannes conservent en général celles-ci dans une pièce fraîche, la cantina, réservée à cet effet, et ne les débouchent qu’au fur et à mesure. Nous avons fait de même, hissant nos dames-jeannes sur la table avant de les incliner pour remplir à l’entonnoir une douzaine de vieilles bouteilles, puis assurer l étanchéité leur étanchéité avec de l’huile d’olive. Nous sommes passés maîtres dans l’art de jeter l’huile d’un geste sec en ouvrant la bouteille. Quelques gouttes, pourtant, demeurent toujours à la surface. J’ai déjà relégué deux de nos dames-jeannes à un usage ornemental dans le coin de certaines pièces. Nous les avions trouvées toutes trois abandonnées sous le conteneur de recyclage ; d’autres en auront eu assez. Mais comment ont-ils pu se résoudre à s’en débarrasser ? J’aime leurs formes généreuses, rondes, féminines, et le verre où quelques bulles d’air sont restées enfermées. Nous les avons nettoyées à la lavette et achetés des bouchons neufs. Je me risque : « Tu veux vraiment qu’on continue à se servir de la troisième ?
- Non, tu as raison. Mais ne dis rien. » Ed parle, évidemment d’Anselmo, Beppe et Francesco qui traitent avec mépris toute nouveauté en matières d’olives et de vin. Nous installons dans le coffre deux grands cubitainers de vingt litres chacun – ils sont pratiques pour le transport, mais il faut transférer leur contenu sitôt rentré, faute de quoi le vin peut rapidement prendre un petit goût de plastique. »
Frances Mayes Bella Italia Quai Voltaire 1999