Enfant, il était des aliments qui me faisaient zire, j’étais aziré… et donc j’étais un zirous.
Dans le dialecte poitevin-saintongeais mais aussi acadien issu du vieux français : faire zire exprime le dégoût.
Parmi mes dégoûts d’enfance, peu nombreux, la peau du lait boursouflée et jaunasse, la soupe de citrouille pour son odeur fade et son aspect de vomi, le blanc du poireau et les concombres pour leur inexistence gustative, la fraise de veau pour l’odeur, la tisane de tilleul et le thé sans doute parce que ça me semblait être le breuvage des grenouilles de bénitier.
Les refus alimentaires se multiplient : lire ICI « Mangerons-nous encore ensemble demain ? » en voilà une vraie question.link
Triomphe de l’apparence, une forme de beauté lisse, fabriquée, sans défaut apparent, sans odeurs désagréables, sans goût me direz-vous…
Même si certains promeuvent aujourd’hui les fruits moches je ne suis pas certain que vos enfants élevés avec des petits pots Nestlé et le Kiri apprécient la tête de veau et les fromages qui puent.
L’acceptation de l’apparence c’est un premier pas vers la reconnaissance de la différence entre les cultures alimentaires et le meilleur moyen de lutter contre l’uniformisation de notre alimentation.
Ça demande de notre part des efforts de présentation et de préparation des aliments laids, aux flaveurs puissantes, forts en goût donc en dégoûts… pour que nos chères petites têtes blondes acceptent d’y goûter en lieu et place des bâtonnets de poisson pané ou de leur pizza boursouflée…
L’incantation, les grands discours outrés, ne servent pas à grand-chose sinon à accentuer et à figer le refus.
Jouer de la transgression chère à la jeunesse constitue une stratégie bien plus opérante et efficace. Bref, se différencier est plus facile à admettre que de se rallier à la culture alimentaire de ses parents.
Le goût du vin échappe au goût et aux dégoûts d’enfance, il vient sur le tard avec l’âge adulte mais il doit lui aussi surmonter un obstacle majeur : le goût des connaisseurs. Certains s’y plient de bonne grâce, d’autres s’y refusent, cherchent la différence, transgressent, et les voilà qui se ruent sur les vins nus.
Horreur, malheur, excommunication, les statues de Commandeur se dressent à l’ombre des GCC, sonnent le tocsin traduit en toutes les langues, font rempart de leurs corps à ces déviances insupportables en organisant des masters class où coulent les grands vins.
Et moi, tout en dégustant mes brochettes de couilles d’agneau link, je me marre avant de boire un petit coup de Never Mind the Bollocks de Pascal Simonutti.
Tout ça pour vous dire que tous les chemins mènent au vin et foin des pharisiens qui n’aiment pas que l’on prenne une autre route qu’eux.
« La cuisine, c’est comme le rapport à l’autre, il ne faut pas se fier à l’apparence. Ce n’est pas parce que le poulpe fait peur avec des longs tentacules plein de pustules, qu’il n’est pas succulent en salade ou en ragoût. Ce n’est pas parce qu’un fromage sent très fort les pieds, qu’il n’a pas un bon goût en bouche. Ce n’est pas parce que la simple idée de manger des tripes d’un animal dégoûte, qu’il ne faut pas y goûter. La nature regorge de produits bizarres, laids, biscornus, rabougris, puants, bref dégoûtants et malgré tout savoureux. Nous sommes souvent coupés dans nos élans gustatifs par de simples préjugés ou notre éducation, voire par notre milieu culturel. Les Français ne dégoûtent-ils pas d’autres peuples en se régalant d’escargots, de tripes de cochon ou de grenouilles, au même titre que les Chinois raffolent des chiens et des œufs fécondés ou les Cambodgiens d’insectes et d’araignées ? »
Qui m’aurait dit il y a quelques années que je me régalerais en mangeant du poisson cru que je ne l’aurais pas cru.
Alors, de grâce que les bonzes des grands vins encensés et leurs moinillons en Richelieu, le singulier serait plus pertinent mais nous approchons de Noël, me lâchent la grappe lorsque je mange le burger de Claire saucisse de Morteau sur un lit de choucroute sauce gribiche en me rinçant le gosier avec un verre de « la Part du Colibri » de Vincent Caillé…
Mais que voulez-vous « tous les sots sont périlleux… » Jacques Deval