Entre Jean-Luc et moi tout a commencé le 31 janvier 2008 où dans une chronique titrée « L'esprit de garage par Jean-Luc Thunevin link » je le présentais : « ancien ouvrier forestier, disc-jockey, employé de banque et marchand de vin » et je contentais de reproduire ses réponses à Andrew Jefford publiées dans « Le nouveau visage du vignoble français » publié chez Hachette. Vous me direz jusque-là y’avait pas de quoi mettre le souk dans la boîte à outils d’un garagiste. J’en conviens, sauf que, lorsque je dactylographie un texte j’ai une certaine tendance à la dyslexie des noms propres et, ce jour-là, j’avais rebaptisé Jean-Luc : THUVENIN.
Tout autre que Jean-Luc ce serait offusqué mais lui prit la chose du bon côté en soulignant que l’alliance de la thune et du vin suffisait à son bonheur alors que le venin venait d’ailleurs. Après ce contact purement épistolaire Jean-Luc et moi nous avons dû nous rencontrer physiquement, de manière tout aussi pure, au salon de la RVF. Je vous invite à aller faire un tour sur cette ancienne chronique, et ce pour deux raisons : la première inavouable, que lui seul connaît et sur ce point Jean-Luc me surestime ; la seconde est que ses réponses à Andrew Jefford vous donneront envie d’acheter le dernier né de la collection « Autour d’une bouteille » consacré à Murielle Andraud et Jean-Luc Thunevin sobrement titré « le Vin de garage ». C’est chez Elytis. 14€. Le questionneur-dégustateur est Gilles Berdin. Jean-Luc me l’a porté en mains propres à sa descente du TGV de Bordeaux.
C’est le meilleur opus de la collection. Je l’ai lu d’une traite. Je l’ai annoté avec mon crayon de papier. Je me suis régalé car si Jean-Luc adore le bois neuf il est tout sauf un adepte de la langue de bois. Et puis, j’y ai découvert avec plaisir Murielle, le Andraud de Valendraud, qui n’est ni madame Jean-Luc, ni sa moitié, mais Mumu. Elle ne fait pas de la figuration mais cultive la vigne et fait du vin, et très bien la cuisine aussi. Tandem or not tandem demande Berdin. Jean-Luc pince sans rire opte pour deux vélos quand même. Ces deux-là j’aime leur parcours de ouf comme dirait Jean-Luc. Moi, qui ne sais rien faire de mes dix doigts, sauf maintenant pianoter gauchement sur un clavier, je suis admiratif de leur goût de faire, de bien faire, de toujours avancer, d’aller au bout, de rester debout en déséquilibre, de rester simple, de garder l’enthousiaste de leurs débuts comme le dit Murielle. L’adversité, tout ce qu’ils ont dû endurer à leurs débuts, cette hauteur dédaigneuse des bien installés, héritiers, a été pour eux une puissante motivation « penser que le monde entier ne vous aime pas peut constituer un ressort » avoue Jean-Luc. Mais, c’est la fureur créative, le grain de folie, qui fait que Valendraud est devenue, et est, une très belle aventure humaine. Comme le dit très justement Jean-Luc « les raisonnables font des choses raisonnables et j’ai toujours pensé que j’étais un peu fou – heureusement – pour avoir entrepris ce que j’ai fait. » Ceux qui me trouvent trop enthousiaste lisent d’abord le livre et ensuite nous engagerons la conversation.
Pour faire dans la petite histoire, Jean-Luc et moi avons points communs :
1- Comme lui « je lis tout très vite, comme un rat en cage, il faut que j’avale les pages. »
2- Murielle dit qu’ « il fait la sieste quasiment tous les jours » et moi comme mon pépé j’adore faire une courte mariennée (voir chronique « En ce 1er Mai nous les bons vivants célébrons la méridienne attitude » …link )
3- Jean-Luc, en 1971, alors qu’il travaillait au Crédit Agricole au service commercial, le soir il est DJ dans une boîte de nuit de Libourne. Très sérieux Gilles Berdin s’enquiert « par passion musicale ? » La réponse du Bad Boy est à lire page 93 tout en haut. Pour moi : pas mieux !
Me reste plus qu’à vous offrir des bonnes feuilles, normal pour un ex-garagiste très attentif à l’ensoleillement du raisin. J’avais le choix entre :
- La surmaturité : « c’est une question typiquement bordelaise, complètement absurde que je ne supporte pas.
- L’énervement de Jean-Luc à propos de ceux qui affirment qu’il ne faut pas mettre autant de bois neuf.
- Le « oh, p…, je supprimerais tous les bouchonniers… ces types sont des maquignons… le meilleur des bouchonniers est inquiétant car je le considère comme l’escroc des temps modernes.
J’ai choisi la surmaturité car elle fait chier Jean-Luc, c’est lui qui le dit et je le crois. « On évoque la surmaturité alors qu’on devrait parler de mauvais raisins donc de mauvais terroirs, de manque d’eau, de stress hydrique… de tout ce qu’on veut mais pas de surmaturité. Y-a-t-il de la surmaturité dans les vins du Sud ? On y fait des vins à 17° d’alcool et si on les boit frais, on ne perçoit pas du tout cet alcool. L’acidité est naturellement présente avec des pH formidables qui permettent aux vins d’avoir de la longueur et de durer dans le temps. Il est certain qu’à Bordeaux, si les vignes sont trop alimentées en azote, mal gérées du point de vue cultural, avec des pH décadents où l’acidité s’écoule, les vins seront mous et flasques. Il ne s’agit pas de surmaturité mais de mauvais choix techniques. Il n’y a aucun vin en surmaturité, il n’y a que des manques d’acidité que nous ne savons pas corriger, à l’inverse des Bourguignons. Traditionnellement, dans la région, il fallait plutôt désacidifier et chaptaliser jusqu’à ce que le climat change. On ne peut parler de surmaturité qu’à partir du moment où la baie devient raisin de Corinthe, ce qui n’est pas envisageable ici. Nous l’avons bien compris en Roussillon, au bout de plusieurs années. Nous nous sommes rendu compte que, pour faire un bon maury, il fallait un raisin parfaitement frais et bien rond. Je ne cesserai de répéter qu’à Bordeaux la surmaturité n’existe pas, c’est un fantasme absolu, c’est le monstre du Loch Ness. Quand j’entends dire que Michel Rolland fait ramasser en surmaturité, j’affirme que c’est des conneries. ! Les grandes années comme 1945, 1959, 1961 étaient très ensoleillées et aujourd’hui il faudrait être obsédé par le risque d’avoir trop de soleil. Franchement… Si le raisin reste rond, entier, parfaitement consommable sans être séché, il n’y a pas de surmaturité. Dans un de ses bouquins, Emile Peynaud donne toutes les mauvaises raisons qu’invoque un viticulteur pour ramasser son raisin trop tôt : la pluie, les sangliers, les voisins… La surmaturité fait partie de ces raisons mais c’est aberrant. Je dis toujours avec beaucoup de franchise que sur quelques millésimes, nous n’avons pas ramassé assez mûr. »
Pour finir, un petit coup pour la route à l’attention des Bourguignons « Tout le Clos Vougeot est en grand cru alors qu’il n’y a qu’un propriétaire qui fait très bon, deux ou trois qui produisent moyen et le reste fait très, très mauvais. C’est la notion de terroir qui est classée et non le travail de l’homme, ce qui paraît totalement absurde car on y trouve des vins infâmes. » C’est Laurent Gotti qui va être content Jean-Luc…
Signé : le Taulier qui aurait bien aimé être un garagiste « canal historique » mais qui ne s’appelle pas Thunevin.