Depuis des années j’étais fâché avec la tomate Daniela, apparue au début des années 1990, issue de sélections génétiques, qui pouvait rester ferme et rouge pendant trois semaines, mais sans goût.
Tout était faux dans la tomate : les tomates grappes, les tomates dits anciennes, la cœur de bœuf, tout au long de l’année, partout sur les étals y compris chez les petits marchands de fruits et légumes. Même les bio étaient inodores et sans saveur.
Pourquoi le goût de la tomate a-t-il quasiment disparu ?
« En France, on vend 900 000 tonnes de tomates par an, dont 85 % en grande distribution, et le pays en produit plus de 500 000. Pour répondre aux contraintes de la distribution, les semenciers ont sorti des graines d'hybrides dites « long life », faites pour l'exportation et supporter de longs voyages en bateau. Au début des années 1990, la tomate Daniela, issue de ces sélections génétiques, pouvait rester ferme et rouge pendant trois semaines, mais sans goût.
Deuxième facteur néfaste : en Espagne, au Maroc ou aux Pays-Bas, on récolte les tomates à des stades de maturité très clairs. Sur un code de coloration qui va de 1 à 10, on les cueille souvent à 2, alors qu'il faudrait être à 6 ou 7 en lumière naturelle.
Troisième facteur : en conservant les tomates en chambre froide ou en réfrigérateur, le distributeur ou le consommateur tue le développement des arômes et des parfums et casse le processus de maturité. La tomate ne supporte pas les températures inférieures à 12 degrés, or toute la logistique alimentaire en France se fait en dessous de 8 degrés ! »
Le vent vient de tourner, sous l’impulsion d’une poignée de résistants à « la tomate mondialisée », il est à nouveau possible de consommer en saison des tomates de plein champ goûteuses et savoureuses.
Dans sa préface à l’opus Tomate publié par les éditions de l’Épure, Isabelle Larignon, donne deux dates :
2005 – Porte de Versailles – Hors-sol : c’est parti pour le Salon le plus vachard. Ça ne rigole plus à la manut’. Noud voilà au cul du camion à transporter des plants de tomates s’étirant comme des lianes. Moi exposant, moi gêne. Moi tout savoir ou presque sur la culture hors-sol et expliquer pourquoi toi ne plus avoir de goût : rock and roll.
2010 – Paris – Rouge : ronde, oblongue, verte, safranée, noire, zébrée, elle s’épanouit arlequine dans le semis d’un potager où elle reçoit les rouges baisers d’un jardinier qui lui demande en secret « Me dire-vous un jour la saveur de vos lèvres ? Me direz-vous un jour le goût de vos baisers ? »
« Une tomate en serre, c'est bien pour avoir de la tomate en décembre et des fruits bon marché. Mais une tomate en pleine terre de plein champ, c'est 100 fois mieux. C'est comme un steak sous vide, à un moment c'est pas pareil », juge Clotilde Jacoulot, primeur à Morteau (Doubs) auréolée du titre de meilleure ouvrière de France (Mof).
La plus belle alliée de la tomate goûteuse de saison cultivée en pleine terre est la mozzarella di bufala DOP.
Au-delà de la haute-gastronomie, la bataille du goût dépasse largement le petit cercle des fines gueules, elle est emblématique d’une vraie reconquête par les consommateurs de leur pouvoir d’influer sur le cours implacable et normalisateur de ce monde mondialisé.
Certes, le coût du panier dit de la ménagère, de son caddie, est un point important mais sa composition l’est aussi. L’excès de produits transformés, emballés, normalisés, à coût au kilo très élevé, peut largement laisser la place à un retour à des produits bruts de bonne qualité à transformer soi-même.
La question du temps est un faux argument cachant nos choix et nos renoncements.
La réduction de l’emprunte carbone des tomates, des fraises allant et venant sur les autoroutes d’Europe, le choix d’une agriculture moins intensive, plus respectueuse de l’environnement, de la santé, passent par nos choix de consommateurs-citoyens.
Cessons de toujours rejeter sur les autres la dégradation de notre nourriture, de notre environnement, commençons par nous prendre en main, par balayer devant notre porte, par donner des signaux, même faibles, aux hydres qui nous entraînent dans un monde qui broie notre mode de vie.
Bien sûr, il ne faut pas rêver la haute-technologie, telle que décrite ci-dessous, exploitera ce flux montant, mais à force de grappiller il est possible de tailler des croupières aux monstres, prenons exemple sur « Les paludiers de Guérande ou la volonté d’une poignée d’hommes peut inverser l’histoire d’un produit millénaire » lire ICI
Retour au goût de la tomate :
Lire Bretagne contre Sud-Est : la guerre de la tomate fait rage
« On est loin de la « serre à pépé »
Désormais, les Bretons, bien organisés dans leurs groupements de producteurs, sont devenus les champions des rendements. Il n'y a qu'à voir la serre expérimentale de Savéol, leader de la tomate en France (80 000 tonnes/an), pour mesurer combien on est loin, aujourd'hui, de la « serre à pépé ».
Située à Guipavas, près de Brest, cette serre de 5 000 m2 est entièrement pilotée par informatique (température, humidité, arrosage…). Quelque 260 variétés différentes de tomates y sont testées. Et 99 % des plants sont cultivés en hydroponie, où la terre est remplacée par un substrat stérile : ici de la fibre de noix de coco du Sri Lanka.
En 30 ans, la coopérative a développé 30 variétés. « Le marché est très concurrentiel en France et nous, depuis le temps qu'on cultive la tomate, on sait que la meilleure solution pour répondre aux attentes du marché c'est de proposer des choses nouvelles », explique Pierre-Yves Jestin, président de Savéol.
La palette s'est incroyablement élargie. « Nous étions tombés au fond du trou il y a une quinzaine d'années, avec la Daniela en Bretagne. Elle était rouge, ronde et ferme, mais n'avait aucun goût. Depuis, nous avons fait beaucoup de chemin pour la diversification et le goût », veut croire Gérard Roche, vice-président du syndicat Légumes de France.