Dans chaque Français s’intéressant au sport, le cul sur son canapé, il y a un sélectionneur de foot ou de rugby qui s’ignore ; le choix de la discipline par monsieur tout le monde dépend de la place de son cul : au nord ou sud de la Loire.
De même, dans chaque fonctionnaire sorti des Grandes Écoles il y a un juriste qui s’ignore ce qui permet aux juridictions administratives de retoquer beaucoup de textes réglementaires : les sans-chais de Pomerol en étant un brillant exemple.
Alors pour l’INAO je ne vous dit pas les vertes et les pas mûres que j’ai lues ou entendues !
En effet l’INAO est un établissement public sui generis qui, lorsque j’ai pris le dossier en mains était doté d'un personnel sous statut Gaillard (du nom de Félix, l'autre charentais, le plus jeune président du Conseil de la 4ième République).
En 2007, j’avais commis une petite chronique sur l’INAO des origines :
L'INAO, en ce temps-là, avait quelque chose d'exotique : un étrange cocktail d'autogestion professionnelle et de gestion publique qui m'a fait le qualifier d'objet juridique non identifié, ce qui pour moi était un compliment. Avec une telle approche, face au goût immodéré des anglo-saxons pour le droit non écrit donnant aux tribunaux et aux lawyers des espaces infinis, nous dressions une muraille immatérielle qui s'opposait à l'uniformisation du monde.
Une grande part de la réussite incontestable de l'AOC tenait à ce mariage heureux du droit privé et du droit public. Les professionnels français pilotaient une multitude de chouettes conduites intérieures, gentiment désuètes, indémodables, inimitables et, par une forme prononcée de suffisance, d'inconséquence, ils se sont engouffrés dans des cars pour voyages organisés.
Jean Pinchon dans son livre de Mémoires, avec la pertinence d’un vieux routier ayant commencé sa carrière à la FNSEA du sénateur Blondelle, fait part de son étonnement lorsqu’il est nommé par Rocard à l’INAO :
« Je découvre alors véritablement la réalité du système des AOC, et je me rend compte qu’il s’agit d’un principe très intelligent, instauré par un décret-loi de 1935 (…) l’État délègue, aux organisations professionnelles, le droit de conférer les appellations ; le Ministre de l’Agriculture entérine la décision des viticulteurs sans pouvoir la remettre en cause, sous peine d’être attaqué par le Conseil d’État. Il s’agit d’une véritable délégation de service public, suivant un peu le principe de subsidiarité cher à la théologie médiévale et qui sera repris par le Traité de Rome : on n’impose pas à une profession – ou à une Nation, en ce qui concerne les institutions européennes – de renoncer à la spécificité et aux traditions qu’elle a définies elle-même (…)
Je comprends alors, de façon très forte, qu’à côté d’une agriculture productiviste pour laquelle je me suis toujours battu, vit une autre agriculture où les gens « élèvent » les des produits de très grande qualité suivant des règlements qu’ils se fixent eux-mêmes, en concertation avec le ministère de l’Agriculture, et qui concernent une délimitation territoriale précise, des normes strictes d’élaboration, et une production individualisée, puisque l’agriculteur signe lui-même sa récolte, en indiquant son nom sur une bouteille, ce que ne font évidemment pas les betteraviers… Durant trop longtemps cependant, les grandes organisations professionnelles agricoles ne mesurent pas assez l’intérêt et l’importance de ce mode de production, et c’est pourquoi, jusqu’à une époque récente, le monde viticole a vécu un peu à part ; moi-même, quand je suis à la FNSEA, je n’ai pas toujours assez mesuré la spécificité de la viticulture… »
EN 1988 « Grâce à l’action de l’INAO, et à la ténacité d’Henri Nallet, la Communauté européenne admet le principe que les appellations seront nationales, avec l’obligation de dépôt à Bruxelles, afin que soient évitées toute concurrence abusive et tromperie quant à l’origine effective et aux modes de production. Hélas, ces sages dispositions, quelques années plus tard, seront abolies sous la pression des lobbies industriels… »
Paroles qui ne manquent pas de sel venant de l’ancien Président de Roquefort Société qui a milité pour son rachat par le groupe Besnier aujourd’hui Lactalis.
Toujours en 2007 je notais :
« À partir de là, on ne savait plus qui faisait quoi, ou si, plus exactement, les fonctionnaires se piquaient de faire dans le stratégique, ils pensaient, et les professionnels du Comité National, tout en poussant des cris d'orfraies sur l'insupportable mainmise publique, s'occupaient de l'intendance du quotidien qui plaisait tant à la base et le Ministre disait amen (le mien y compris). Certains ont tenté de ruer dans les brancards, de proposer, de choisir. On leur demanda d'aller exercer leurs talents ailleurs.
Face à cette dérive, les nouveaux entrants : produits laitiers et autres, suite à la réforme de 1990, que j'ai défendu au Conseil d'Etat, après un temps d'observation, constatant la cécité des représentants du vin et ne se laissant pas éblouir par leurs faux-semblants, petit à petit ont pris le pouvoir, puis, profitant de leur entregent dans les allées du Pouvoir ils ont fait prévaloir une conception normative de l'AOC.
En clair, face à une production agro-alimentaire de masse, formatée, incolore, inodore et sans saveur, l'AOC devient la pointe de la pyramide des signes de qualité. Le tour est joué. On se noie dans les logos : rouge, vert et je ne sais quelles autres couleurs. On érige le contrôle extérieur en principe fondateur. Le directeur du CIVB a raison de confier à Jacques Dupont dans le Point : « c'est en quelque sorte une OPA amicale mais ferme, qui donne le sentiment que tout continue comme avant, alors qu'il n'en est rien » Est-ce pour autant une nationalisation de l'INAO ? Une mainmise de la machine étatique sur le secteur ? La réponse est clairement non. Il s'agit tout bêtement de la pure insertion du vin dans le grand Meccano de l'agro-alimentaire.»
Voilà, la messe est dites, la dilution des AOC dans la grande mare de l’agro-alimentaire les ont précipités dans le productivisme et leur ont fait rater le grand rendez-vous de l’authenticité lié au respect de l’environnement et d’une réelle prise en compte de l’essence même de l’élaboration du vin : le jus fermenté du raisin…