J'exagère bien sûr. L'art du jet post-dégustatif, précis, sans éclaboussure, n'est pas à la portée du premier goûteur venu. Dans les multiples lieux de dégustion au premier regard il est facile de faire le tri entre les grands pros et la piétaille gazouillante. Pour moi y'a du Clint Eastwood, dans un de ses film-culte «Impitoyable», chez ces maîtres dégustateurs : ils ne se vautrent pas au-dessus du baquet, buste droit, décontractés, à l'instant crucial la bouche se fait cul de poule et le vin, en une courbe élégante, s'élance vers sa triste fin. Chapeau les artistes !
Je plaisante à peine mais, ce qui me semble naturel et recommandé en des lieux où il n'y a pas d'autre issue, me semble totalement incongru en d'autres lieux publics, tout particulièrement le restaurant. Rassurez-vous, je ne repasse pas les plats http://www.berthomeau.com/article-lettre-ouverte-au-president-de-l-universite-du-vin-de-suze-la-rousse-a-propos-de-miss-glou-glou-50442183.html mais je vous propose de lire ci-dessous une prise de position militante d'un éminent dégustateur (la lire avant de croquer ma chronique vous sera utile). C'est un vrai bonheur. Je me gondole grave. Comme l’aurais dit le regretté Francis Blanche : « c’est vareuse, c’est vareuse... pardon c’est tunique... » et notre grand Desproges aurait lui sans doute eu des mots uniques pour tailler un costar aux promoteurs du « Recracher le vin au restaurant » nouvelle pratique préconisée, sans malice, par un vigneron à Miss Glou Glou sur son blog
« Je suis mille fois d’accord avec miss glou glou. Cette idée, je l’ai depuis longtemps, et j’essaie d’en convaincre les autres. Enchaînant les repas avec de nombreux vins les uns après les autres, c’est un atout pour la santé. J’ai un gobelet en argent (mais l’argent n’est pas obligatoire bien sûr) qui me permet de le faire avec une discrétion totale, puisque quelqu’un à ma table m’a demandé : « mais pourquoi buvez-vous le vin dans cette timbale au lieu de le boire dans votre verre ». Donc, c’est discret. Ensuite, je quitte le repas l’esprit léger, même quand on s’est partagé nettement plus d’une bouteille par personne en moyenne. Enfin, on goûte mieux quand on recrache car l’air qui pénètre en bouche exacerbe le final. De plus, ça devrait intéresser les vignerons, car on boit beaucoup plus quand on recrache : on ouvre toujours une bouteille de plus. Si on veut avoir le délicieux picotement du vin que l’on avale, eh bien, on avale une fois sur trois et on a l’excitation du vin sans la lourdeur. Oui, je recommande l’extension de cette pratique qui n’a que des avantages. » François Audouze
Toutes les pratiques entre adultes consentant sont admissibles, défendables, j’en conviens aisément sans pour autant en appeler, comme le vigneron Philippe Gimel du domaine Saint Jean de Barroux, le promoteur de la pratique, au respect de la démocratie ; la pauvre est déjà fort fourbue sans qu’on lui jetât en plus sur le dos une aussi petite cause. En effet, à trop vouloir prouver le risque est grand de donner des arguments à ceux qui guettent la moindre occasion pour stigmatiser la simple pratique de boire du vin, à table ou ailleurs. Le double argument avancé que c’est à la fois bon pour la santé « c’est un atout pour la santé » et « de plus, ça devrait intéresser les vignerons, car on boit beaucoup plus quand on recrache... » Pas mal comme dynamisation du marché – en l’occurrence ici celui des GCC ou des raretés – qui s’apparente, si l’on pousse la logique jusqu’à son terme, pour des vins bien plus modestes vers l’écoulement des surplus dans le caniveau. Nos « amis » les cagoulés du CRAV ont pratiqué, et pratiquent encore parfois, ce sport.
Bien sûr, je comprends parfaitement que les Stakhanov de la dégustation, les inimitables goûteurs de vin, l’élite de l’élite quoi, tel François Audouze, qui enchaînent « les repas avec de nombreux vins les uns après les autres » recrachassent une partie des breuvages proposés à leurs yeux, leur nez, leur palais, pour garder intact leur plaisir intellectuel. Toutefois je m’interroge au vue des nourritures solides qui accompagnent les vins – j’insiste sur cet ordre – ne sont-elles pas, par leur richesse, très nuisibles pour la santé des « enchaînés » ?
Passe encore, je suis contre les interdits, simplement, laissant à chacun sa liberté de choix, une question bien plus importante me taraude : pourquoi va-t-on au restaurant entre amis, en famille, en amoureux ?
Pour goûter du vin ?
Manifestement non pour une écrasante majorité de gens, leurs motivations sont multiples, depuis la plus simple : se nourrir jusqu’au plaisir de la gastronomie la plus raffinée. Donc si, cédant à la maladie des sondages, nous interrogions à la sortie des restaurants «monsieur et madame tout le monde» je ne pense pas que le pourcentage de ceux ayant choisi d’aller au restaurant pour goûter du vin dépasserait le seuil du significatif. En effet, peu de gens alignent de nombreux vins sur leur table de restaurant, encore heureux quand ils en commandent.
Alors, il me semblerait plus pertinent, plutôt que de militer pour la vidange, même dans un gobelet d’argent – et pourquoi pas chez les étoilés dans des vasques portées par des serviteurs – pour améliorer la santé financière de beaucoup de vignerons de se battre pour que les prix des vins au restaurant soit plus raisonnables, pour un service au verre digne et abordable et la proposition d’emporter chez soi dans de bonnes conditions, comme aux Papilles par exemple, la bouteille non entièrement consommée...
Que les goûteurs de vin fassent comme bon leur semble, au restaurant ou ailleurs, peu me chaut mais de grâce qu’ils veuillent bien nous épargner «l’extension du domaine du vin perdu sans être bu» car vraiment c’est à la fois une bien triste fin que de finir sa vie à l’égout. Certes le vin n’est pas nécessaire à la vie de nos corps mais il est si utile à celle de nos cœurs et de nos âmes par son passage furtif, enivrant parfois, en nos mortelles carcasses que de le pisser me semble de nos jours si coincés, si intellectualisés, un acte profondément «révolutionnaire»
Pour mémoire une chronique de mars 2009 « Il vaut mieux être saoul que con, ça dure moins longtemps» à intégrer dans le Manuel du petit dégustateur borné http://www.berthomeau.com/article-28979241.html Il s’agissait ici des dégustateurs patentés et non des dégustateurs distingués...