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14 mai 2010 5 14 /05 /mai /2010 00:09

L’appellation de ce plat roboratif représente à lui seul pour un étranger tout le mystère de la cuisine française des terroirs profonds. Jacky Durand officie au piano aussi bien dans sa cuisine que face à son écran du journal Libération. Les textes de ses chroniques sont émouvants, sensibles, chaleureux mais je lui fais deux reproches. Le premier sérieux : l’utilisation massive du on, qui fait très posture Libération, dont l’indéfinition me fait toujours penser à un gros sac sans fond ; le second, totalement fallacieux, c’est son prénom Jacky, car je fus tout au long de ma période culotte courte affublé de ce prénom qui n’était pas le mien sous le prétexte de me distinguer d’un autre Jacques transformé lui en Jacquot. Logique étrange fort répandue dans nos campagnes où les sobriquets, les surnoms, les prénoms de remplacement étaient monnaie courante. Bref, j’ai honni et pesté contre ce Jacky que je trouvais réducteur alors que depuis j’ai appris que, contrairement aux apparences, l’anglais Jacky et ses dérivés ne sont pas des variantes de Jacques, James en anglais, mais de Jean, John en anglais.

 

Dans son opus récent, « Cuisiner, un sentiment » chez carnets nord www.carnetsnord.fr , en dépit de 7 On dès la première demie page, Jacky Durand nous régale. Pour vous allécher j’ai choisi dans le chapitre 1 Des Souvenirs, le croquis baptisé Tête de cochon. Selon un rituel bien établi sur cet espace de liberté je vous propose deux extraits qui sont dans la continuité et qui vous mettrons j’en suis persuadé l’eau à la bouche. Les sous-titres de ces extraits sont de moi. Pour vous situer, le narrateur évoque sa dernière visite à son oncle Jules, à la fin de l’été. Alors qu’ils descendaient (nous sommes dans le Haut-Doubs) à la ville dans une voiture de location pour se rendre au marché couvert, l’oncle Jules avait décrété « Tu vas me faire un fromage de tête. »

 103-fromage-de-tete.jpg

Faire le fromage de tête

 

« Il fallait attaquer séance tenante le fromage de tête. L’oncle s’installa en bout de table er muni de son petit couteau pointu éplucha trois petits oignons, trois carottes, quatre échalotes et effeuilla une grosse touffe de persil plat du jardin. » Toi, tu laves comme il faut la tête sous l’eau froide », ordonna-t-il avant de nous envoyer à la cave chercher une bouteille de blanc du Jura. Le vin était frais, juste ce qu’il fallait. L’oncle claqua la langue et goba une crevette grise. »Maintenant, tu prends le grand fait-tout gris sous l’évier. Tu y mets la tête de porc, le pied de veau, les oignons piqués de clous de girofle, les carottes, du thym, du laurier, du gros sel, du poivre, une pointe de noix de muscade, deux verres de vin blanc et tu recouvres le tout d’eau froide. » On monta doucement le chaudron en température avec la météo des plages de la télé en fond sonore. « Maintenant, tu vas faire fissa pour griller ta hampe car tu vas avoir du boulot quand le fromage de cochon va bouillir », prévint l’oncle Jules qui alignait ses bulots comme à la bataille face à la mayonnaise dans son assiette. On fit une courte pause pour aller au jardin cueillir quelques feuilles de batavia pour enrouler les nems que Jules, se méfiant des sauces exotiques, dégustait juste avec un trait de vinaigre. On entendit le bouillon du fromage de tête murmurer dans son chaudron en ébullition. L’oncle insista pour se lever de table, prendre l’écumoire et nous enseigner l’art d’écumer la surface du liquide pour en retirer les impuretés. Puis on laissa le fromage de tête vivre doucement sa vie en mijotant trois grosses heures tandis que Jules s’assoupissait devant « Les Feux de l’amour ». Il fallut ensuite sortir la tête porc* pour la désosser au couteau et à la fourchette et découper les viandes en fines lanières. C’était un exercice plaisant que l’oncle surveillait avec gourmandise. On filtra le bouillon avant de le laisser réduire de moitié et d’ajouter le persil ciselé et les carottes coupées en rondelles. On y remit également la viande à cuire une vingtaine de minutes. L’oncle farfouilla dans son buffet de cuisine pour trouver terrines, verrines où l’on versa la viande recouverte de bouillon. Ce soir-là, l’oncle Jules lutta longtemps contre la fatigue pour goûter son fromage de cochon refroidi. Et la tête dans son frigo, il se retourna en brandissant un morceau de gelée sur la pointe de son couteau : « T’aurais pu l’assaisonner un poil plus. »

 

* les relecteurs maison ont laissé passer la tête de veau en lieu et place de celle du cochon. C’est le pied qui est de veau !

 

Le repas d’après enterrement de l’oncle Jules

 

« Le jour de son enterrement, on est arrivé par la micheline de 13 heures. Il faisait un froid de gueux pour la mise en bière. La bise s’engouffrait dans la combe où le cimetière regardait en direction de la Suisse. Dans le jour qui baissait, on revint frissonnant à la maison de l’oncle pour le repas d’après-enterrement. Des femmes permanentées comme pour le mariage de la fille de la coiffeuse s’affairaient aux fourneaux où la cuisinière à bois était chauffée à blanc. La chaleur nous assomma dans les effluves de beurre d’escargot, de croûtes aux morilles et de daube de sanglier. L’oncle avait vu grand dans son menu testamentaire commandé et payé de son vivant au boucher-charcutier du village. Outre ce qui précède, il avait également demandé que l’on décongèle le fromage de tête de l’été dernier. On nous servit d’autorité un Pontarlier anis dosé comme un carburant de char d’assaut que l’on tenta d’éponger avec quelques morceaux de fromage de tête. Les oreilles bourdonnaient à cause de l’alcool et de la chaleur, on captait des scories de conversations où il était question de pêche à la mouche, de chevreuil, de travail en Suisse et du FC Sochaux. Au fromage, on apporta du comté vieux et du mont d’or crémeux et le silence se fit quand un cousin déposa sur la table une bouteille de vin jaune en désignant l’étiquette : 1962, l’année de naissance de la flopée de neveux et de nièces que nous étions à passer autrefois les vacances chez l’oncle Jules. Dehors, il faisait nuit glacée. Pleine lune et givre blanc.

Dans la micheline du retour, on dessoûla brièvement en se demandant ce qui, au fond, séparait la vie de la mort : un fromage de tête et un fameux gueuleton ? »

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