Puisque Sophie Pallas inaugure sa première chronique par le choix d’un vin de la mer, d’un vin océanique, je ne puis m’empêcher d’utiliser, avant de vous la présenter, une métaphore maritime. Vin&Cie l’espace de liberté vogue depuis plus de 5 ans sur la Toile, frêle esquif, fort éloigné des yachts ou des paquebots de croisière richement dotés. J’ai d’abord caboté – oui, oui je sais, cabot – le long des côtes familières sans trop m’en éloigner, et puis l’air du large aidant je me suis aventuré en des courses de plus en plus lointaines cherchant à explorer de nouvelles contrées pour vous les faire découvrir. Navigateur solitaire se fiant à sa seule boussole j’ai toujours eu l’ambition de faire partager mon aventure à de vrais marins. Aujourd’hui donc, Sophie Pallas, tient la barre du voilier en vous proposant une chronique, qui sera mensuelle, « l’autre choix de Sophie ».
Le choix du titre de la chronique, si je puis m’exprimer ainsi, est un clin d’œil à une autre belle aventure : Autrement Vin www.autrementvin.com où Sophie Pallas a su, dans des conditions difficiles, j’écrirais même contre vents et marées, mettre sur pied une manifestation, au 104 à Paris fort réussie, innovante, sortant des sentiers battus, où le grand vainqueur fut le vin dans tous ses états. Sophie sait aller avec détermination, précision, courage, jusqu’au bout à la fois de ses intuitions, et surtout de ses rêves. En effet, comme je l’ai accompagné, soutenu à la mesure de mes possibilités, j’ai pu constater que, par-delà son goût d’entreprendre, il y avait chez elle une réelle empathie pour les gens du vin et la volonté de participer à l’extension du domaine du vin. C’est donc avec grand plaisir que je l’accueille aujourd’hui sur mon petit bateau et que je lui souhaite bon vent...
La subjectivité n’est-elle pas le corollaire du goût ?
Le vin n’est-il pas avant tout une affaire de goûts ?
Au risque de dédire les enseignements précieux qui ont nourri et éclairé mon parcours d’oenologue, je revendiquerai ici une totale et entière subjectivité. Cette subjectivité ne saurait être exclusivement liée aux particularismes propres et imparfaits de mes capteurs sensoriels. Elle est aussi (et peut-être surtout) conditionnée par tout ce qui entoure le vin : un environnement naturel, un engagement humain, une audace technique, une histoire en quelque sorte…
C’est précisément l’intention qui guidait « Autrement vin » lors de sa première édition au 104 il y a tout juste un an. Il s’est avéré difficile de sortir des sentiers du « bien-dégusté », la surprise n’ouvrant pas forcément la voie de la tolérance. Mais cette difficulté n’a fait que renforcer une conviction que c’était bien là l’autre façon d’aborder le vin, une façon plus ouverte, et jamais dogmatique ; plus universelle, et parfois surprenante. Au diable donc, chapelles et gourous, querelles et sectarismes en tout genre ! J’ai envie de parler des bio, des pas bio, des techno, des nature, des traditionnels, des modernes, des grands, des petits,... parce qu’ils comptent tous et qu’ils m’apprennent tous quelque chose.
J’ai choisi pour ouvrir cette rubrique un vin qui m’inspire le vent du large, l’appel des grands fonds, le goût iodé des fruits de mer… Egiategia. Le pays basque a une signification particulière pour moi, celle d’une terre parfois douce, parfois hostile et surtout de caractère. C’est la terre originelle d’Emmanuel Poirmeur qui a décidé d’y retourner et d’y inventer un vin… un vin de la mer. Pourtant, Emmanuel avait une position professionnelle des plus enviables, brassant vignobles et domaines, pour le compte d’un grand institutionnel, avec un avenir confortable et sans risques. Qu’est-ce qu’il lui a donc pris de tout laisser tomber pour créer une nouvelle zone viticole et planter des vignes sur la corniche de Saint-Jean-de-Luz, d’immerger des cuves dans l’océan et d’embouteiller son vin au robinet dégustateur ?
Venez à marée haute lorsque les vagues tapent les murs de la cave, l’hiver quand le brouillard plane entre les cuves ou encore l’été lorsque la corniche, site exceptionnel Européen classé Natura 2000, offre l’infini de l’océan d'un côté et les Pyrénées de l'autre… vous comprendrez. Le vin dont je vous parle n’est pas encore celui que nous goûterons l’année prochaine, élevé sur lies en cuves et sous la mer à 15m de profondeur (la pression de l’eau changeant avec les marées entraîne un effet de convexion permanent démultipliant les bienfaits de l’élevage sur lies). Il s’agit aujourd’hui de la première cuvée de la cave Egiategia. Un vin blanc sec fait de raisins d’Ugni blanc et de Colombard, récoltés à un niveau de maturité point trop avancé pour une acidité et des arômes frais.
Malgré la pluviosité réputée du pays basque, il est assez surprenant de constater que les maladies cryptogamiques n’y sont pas prospères. Ou bien est-ce à cause de celle-ci ? Un indice rapporté par Guy Lavignac dans son ouvrage sur les cépages du Sud-ouest : la seule enclave viticole française qui fut épargnée par la crise du phylloxera est le pays basque… le pauvre parasite n’aurait pas résisté au climat, noyé par les averses océaniques ! Toujours est-il qu’Emmanuel n’a pas trop de mal à réduire les traitements de sa vigne au strict minimum, deux applications de bouillie bordelaise, en tout et pour tout. Le vent fait beaucoup aussi...
Maintenant, placez une douzaine d’huîtres à proximité et ouvrez une bouteille d’Egiategia. Fermez- les yeux. Un nez franc sur les agrumes mêlés aux embruns, une attaque douce qui fait vite place à une acidité qui claque et une longueur toute saline relevée d’une pointe de citron vert. Un vin simple, franc et sans détour. Un vin qui appelle l’huître, comme disait notre ami Patrick Léon lors de la dégustation d’Autrement vin. Une lame d’océan dans un verre.
Sophie Pallas
* Egiategia : l'atelier des vérités
Pour plus de renseignements sur Emmanuel Poirmeur http://www.magazine-etc.com/Emmanuel-Poirmeur-createur-d.html