Au Bourg-Pailler, les grains de maïs que nous égrenions avec une petite machine manuelle avaient pour seul usage de nourrir les poules de mémé Marie, ça donnait à leur jaune un orangé profond.
La culture du maïs pour le grain était à cette époque peu développée, il était récolté en vert pour être consommé par nos vaches. Bien plus tard, l’irruption de l’ensilage, avec ses affreuses bâches noires et ses odeurs acres, assurera le développement dans l’alimentation des animaux.
Pour nous, adolescents, les champs de maïs avec leurs hautes enfilades ployant sous la brise venue de l’océan furent des refuges sûrs pour nos premiers ébats.
Mais, ils furent aussi, un lieu où notre inventivité pour tourner les interdits fit merveille. Alors que nos mères combattaient avec pugnacité notre penchant pour les P4 – paquet de 4 cigarettes – le maïs, du moins ce que l’on dénommait les poupées de maïs, nous offrit un étrange substitut. En effet, ces poupées enveloppées dans leurs longues feuilles étaient surmontées d’une abondante chevelure châtain clair, ce qui justifiait sans doute leur nom, et nous avions constaté que celle-ci, lorsque l’épi était mur, se muait en une longue barbe rêche et brune.
Je ne sais auquel d’entre nous vint l’idée de dépouiller quelques poupées de leur tignasse pour, après un bref séchage au soleil, l’utiliser comme substitut au tabac proscrit par nos intransigeantes mères. Nous le roulions bravement dans du papier kraft. Afin d’éviter une combustion trop rapide il nous fallait bien tasser notre ersatz. Ça grésillait et nous ramonait la gorge. Fait étrange, nos mères n’y trouvèrent rien à redire le jour où nous nous exhibâmes devant elles avec nos étranges clopes.
Cet épisode fut de courte durée, nos moyens financiers, quoique modestes, nous permettaient de nous offrir des cigarettes. Pour épater les filles au bal c’était tout de même plus classe.
Quand à manger du maïs, que nenni !
Mon premier contact gustatif se déroula à Lourdes où notre curé-doyen nous avait conduits en pèlerinage dans sa petite auto du fait de notre statut d’enfant de chœur, sous la forme de « pain de maïs ». De la galette pas du pain !
La polenta, elle, je l’ais découverte chez une amie de ma mère, représentant la marque Linvosges, et bien sûr d’origine italienne. Je dois avouer que ça ne m’avait pas transporté.
C’est mon amie Alessandra qui m’a fait changer d’avis.
François-Régis Gaudry
Alessandra écrit. Elle écrit de goûteux et savoureux petits livres imprégnés de son enfance tout en nous régalant à sa nouvelle adresse : 4, rue Fléchier tout près de l'église ND de Lorette link
François-Régis Gaudry
Aujourd’hui, elle avoue « la polenta, c’est ma petite madeleine à moi, une saveur qui me restitue mes sept ans et ma grand-mère chérie. »
Le goût de l’enfance, les goûts de l’enfance, de son enfance à « Vesta, petit village perdu aux pieds du Mont Groppo dans la province de Parme en Émilie-Romagne. »
Gestes ancestraux autour du paiolo, suspendu à la crémaillère dans l’âtre, qu’elle observait lorsque sa grand-mère préparait la polenta. De l’eau frémissante, de la farine de maïs versée en pluie, et puis avec le mescion, un long bâton de bois, tourner le mélange afin qu’il soit bien lisse, dépourvu de grumeaux. Alessandra n’a pas souvenir « d’avoir jamais vu sa grand-mère se servir d’une balance, ni lire une recette d’ailleurs, alors c’est au jugé qu’elle évaluait la cuisson terminée lorsque la polenta se détachait toute seule des bords du chaudron. »
C’était alors le moment préféré d’Alessandra, avec la force d’un homme, sa grand-mère, « décrochait le paiolo, le retournait et versait son contenu brûlant sur le buràs, torchon réservé à cet effet qu’elle avait étalé sur une planche de bois de forme arrondie appelée tavluén. Elle nouait ensuite en croix les quatre coins du buràs sur la polenta rassemblée à l’aide d’une paltena, une petite spatule au bout carré. »
Bien au chaud la polenta attendait d’être coupée à l’aide d’un fil en tranches.
L’impatiente Alessandra patientait avec les restes de la polenta, fins, croquants et appétissants, qui s’accrochaient au fond du paiolo. Cette polenta abbrustolita relevée d’une pincée de sel équivalait à mon beurre de sardines épongé au fond de la poêle de ma mémé Marie.
Mais ce n’est pas seulement par la magie de ses mots qu’Alessandra m’a rallié à la polenta, originellement plat des gens de peu, mais par l’art et la manière d’en faire le support de ma gourmandise.
« La pulenta a fa quatr mesté : a serv de mnestra, a serv de pan, a ‘mpiniss la pansa e a scauda ‘l man »
En substance, « la polenta a quatre destinations : elle sert de soupe, elle sert de pain, elle remplit le ventre et elle réchauffe les mains » dit un vieux proverbe piémontais.
Par la grâce de deux petits livres d’Alessandra Polenta dans la collection Petit Précis de la gastronomie italienne aux éditions du Pétrin 11€ dont je me suis inspiré pour cette chronique et la polenta dix façons de la préparer aux éditions de l’Épure, vous saurez tout sur la polenta, origines, ses innombrables déclinaisons en cette Italie qui est une mosaïque culinaire : 11, sa couleur généralement jaune mais il existe aussi un maïs spécifique privé de pigment « bianco perla », sa mouture fine ou grossière, la mixité des farines : moitié maïs-sarrasin la Taragna, maïs-froment, sa cuisson et des recettes bien sûr dont une m’a particulièrement séduit mais, chaque chose en son temps, elle fera sans doute l’objet d’une chronique d’ici la Noël.
buono appetito !
Et si vous buviez un Ageno ! link