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15 mars 2013 5 15 /03 /mars /2013 14:00

C’était au temps où dans les interstices de mon emploi du temps de Ministre, en tout lieu, je grattais sur mes petits carnets des mots épars pour m’aider à vivre. Un jour j’ai tout assemblé dans un opuscule unique baptisé « Accrocs de Vie » que je me suis empressé d’ensiler au fond d’un placard.


boeuf-016.JPG

Avant-hier, au cœur de la nuit, j’ai gratté ma chronique sur le pot-au-feu puis je suis allé me recoucher. Là, juste avant de me rendormir, la lamentable histoire de Marcel Cœurdeveau boucher de son état au 223 bis rue Froidevaux… est remontée dans ma mémoire. Ce n’est pas une œuvre impérissable mais 25 ans après elle garde un peu de fraîcheur et d’actualité. Je n’ose écrire que comme pour une viande elle bien rassise.


Je vous propose les photos de ce texte pages 52 à 54 et je vous le calligraphie, pour votre confort de lecture en une forme moins dense.


boeuf-022.JPG

Ceci est la lamentable histoire de Marcel Cœurdeveau

Boucher de son état au 223 bis rue Froidevaux.

Depuis des mois le malheureux erre hagard dans les bars

En déclarant ne s’être jamais remis

De la fermeture des abattoirs de Vaugirard.

Mais je sais que ses paroles sont menteries.

 

Au tout début de sa résistible aventure,

Du paleron et du tendron il se disait le roi,

Et certains jours il peignait sur sa devanture

Qu’il était l’empereur du gîte à la noix.

Aux femmes du quartier il vantait en mots choisis

Les vertus gustatives de sa macreuse juteuse

Et si grande était sa renommée que des gueuses

Venaient, disait-il, des confins de la porte de Choisy

Acheter de pleins paniers de têtes de veau

Qu’il parait de persil pour l’amour  du beau.

Même qu’un vendredi saint de l’an

De disgrâce de mille neuf cent quatre-vingt-un

Surgit dans son échoppe une cohorte de mécréants

Lui réclamant qu’il découpe sur le champ

Des kilos de goûteux faux-filet

Qu’ils déclaraient vouloir payer

Au vil prix des basses-côtes.

Mais le Marcel, drapé dans sa dignité de petit commerçant,

Tel un preux chevalier, leur répondit : à d’autres !

Tout en s’empressant de les servir promptement.

 

C’est ainsi qu’il entra dans la légende de la génération Mitterrand

Aux côtés de l’ineffable Jack Lang.

De vernissages en coquetelles, Cœurdeveau

En oublia jusqu’à son billot

Et ce n’est pas sa promotion dans l’ordre du poireau

Qui put ramener dans sa boutique les fanatiques

Du flanchet et de la bavette d’aloyau.

Plus il montait au firmament du Tout Paris,

Plus son chiffre d’affaires allait de mal en pis.

Face à la chronique d’une déconfiture annoncée

Le Marcel se disait que ses hautes protections

Le tireraient des griffes de ses créanciers

Et qu’il n’avait rien à craindre des juridictions.

 

Enfin arriva le soir d’une première

Où il rencontra autour d’un verre

Hildegarde de Latour Dupont-Durand

Qui se disait la nièce de Boris Vian.

Cœurdeveau épancha son cœur sur l’épaule

De cette femme altière

Qui portait des jarretières

Sous sa robe Jean-Paul Gaultier.

 

Il était fasciné.

 

Elle, en sortant son filofax

De son  sac,

Lui dit : mon beau boucher

Pour vous sortir de ce merdier

Je ne vois qu’une solution

La communication.

Foin de réclame ou de publicité

Elle allait le faire communiquer.

 

Après s’être fourvoyé dans l’allégé

Et avoir raté le train du bio

Le Marcel fit un tabac sur le fermier.

En étalant ses racines de péquenot

Cœurdeveau devint le pape du veau

Sous la mère.

Il écrivit un best-seller.

Organisa des séminaires

Pour cadres voulant se ressourcer.

Multiplia les franchisés.

Participa à des émissions

De télévision.

Pratiqua le mécénat

Et puis patatras

Un petit juge à la con

L’accusa de corruption

De concussion.

 

En moins de temps qu’il n’en faut pour élever

Un poulet fermier

Marcel Cœurdeveau

Découvrit l’abus de biens sociaux.

Il se paya

Une escouade d’avocats.

 

Hildegarde jamais en manque d’innovation

Se rappela la formule du Général

Et répandit dans toutes les rédactions l’information

Que Marcel allait se présenter au prochain scrutin national.

Lui le gourou des paupiettes

Allait assainir les tinettes

Polluées par les affreux politiciens

Et qu’en un tour de mains

La fille aînée de l’Église redeviendrait aussi pure

Que l’eau de la source que tout gamin

Il recueillait dans le creux de ses mains

Pour étancher sa soif de nature.

 

Un soir, las de ces mots sans rime ni raison,

Marcel mangea un bœuf gros sel,

Balança tout à la poubelle,

Pris son balluchon

Et marcha jusqu’à Nation

Et, la tête dans les étoiles, se dit qu’il valait mieux vivre à poil

Que de continuer à vendre du vent

A ceux qui sont dans le segment

Défini par l’étude de marché.

Alors le Marcel il a décidé

Que le meilleur statut pour qu’on lui fiche la paix

Etait celui de fou

Au regard doux.

 

Et maintenant il erre hagard

Dans les bars

En déclarant

Aux clients

Ne s’être jamais remis de le fermeture des abattoirs

De Vaugirard.

 

Pourtant lui le fou,

Chaque dimanche il y propose à des enfants ravis

De vieux albums jaunis

De Tintin et Milou.

 

  • Sur l’emplacement des abattoirs de Vaugirard se tient sous une Halles chaque dimanche une vente de vieux livres.

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commentaires

J
<br /> <br />
Répondre
D
<br /> EXCELLENT !<br /> <br /> <br /> Si le reste des Accrocs de vie est du meme tonneau, il est urgent de publier.<br />
Répondre

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