Rassurez-vous, ce matin je suis bien dans mon assiette mais je veux réparer une injustice.
En effet, nos jeunes agriculteurs, qui sont vieux à 35 ans (c’est statutaire) nous ont fait le coup « de la fourche à la fourchette » et un groupe de producteurs bio s’est baptisé « de la terre à l’assiette »link
Du côté des fourches ça sentaient la jacquerie lorsque les paysans les sortaient ; quant à la fourchette, une petite fourche, de l'italien forchetto, je ne vais pas ramener ma fraise sur elle aujourd’hui.
Ce qui m’amène aujourd’hui à plaider c’est l’assiette qui « est un ustensile simple ou raffiné où le produit de la cueillette est servi avant de passer en bouche pour rêver ensemble, revenir sur nos pas, refaire le monde… Si elle est devenue aujourd’hui un symbole de nos inquiétudes alimentaires, ce n’est pas illégitime ; pouvoir choisir ce que l’on mange est bien l’un des plus beaux sens souverains de notre être au monde. » Sébastien Argant in Être à la table du paysage.
Cependant avant d’être un ustensile l’assiette désignait :
- 1260 en droit le « fait d’assigner une rente sur un fond de terre »
- 1270-1285 « répartition des impôts »
- 1378 « place, rang occupé à table »
- 1630 « un point d’appui »
- 1809 « une position sociale »
Bref laissons cela de côté pour réhabiliter l’assiette face à l’impérialisme du verre.
J’avoue être totalement indifférent à la littérature des amateurs éclairés sur la nécessité de mettre son nez dans un verre estampillé par telle marque ou telle autre. Contrairement au camarade Pousson link je suis resté un fils de paysan qui se contrefout des vapeurs et des extases de vieilles rombières de certains à propos des verres. Ça fait genre de clamer haut et fort une tendresse particulière pour une presque nouveauté de la vieille maison Lalique, le 100 points réceptacle de vins carillonnés.
J’ai pour balayer d'un revers les verres un argument canon emprunté à un amoureux du paysage Sébastien Argent : l’assiette géographique.
Je le cite (j’ai failli écrire site) :
« Après un éternuement il y a 4,6 milliards d’années, est né la Terre. Plus récemment, le Quaternaire a modelé les assiettes géographiques de nos paysages, base de ce que l’on nomme aujourd’hui terroirs, cultivés longuement et lentement, par l’esprit et les mains, pour la bouche… »
Vous ne trouvez pas c’est beau ?
Napa-valley-ridge -1986-1997- by-wayne-thiebaud
« Pour tracer les contours de ces assiettes et les rendre visibles, il nous faut aller sur les crêtes, les rebords, là où l’on se retrouve sur le point de basculement, jusqu’à percevoir l’assiette du fond voisin. Sur ces points de vue, il est souvent question de panorama, de pays que l’on peut embrasser d’un seul coup d’œil, de paysage en somme. Dans le langage du géographe, l’assiette s’entend comme le bassin versant, là où l’eau de pluie s’écoule sur toutes les pentes, emportant avec elle un peu de terre jusqu’à son estuaire, où elle flocule dans l’expression mouvante de bouchon vaseux à la confluence de l’eau douce et saumâtre, là où la terre s’en va à la mer. Sur toute la variété de ces pentes, le chasseur-cueilleur résiduel que nous sommes sait encore glaner la diversité des plaisirs de la terre jusqu’en mer, de la noisette à la palourde. »
Dernière constatation importante portée à votre réflexion « Nous sommes progressivement passés d’une récente carte communale de finage documentée de toponymies enracinés de connaissance, au plan d’urbanisme au visage bien lisse et au partage abrupt, un peu trop clair et oublieux de ses origines terreuses. »
Vous comprendrez sans doute mieux maintenant mon allergie pour les digressions, qui se veulent savantes, sur les verres et mon envie de défendre l’assiette mère nourricière de la terre…