" Fraîcheur, gourmandise et minéralité caractérisent le millésime 2006 assez classique " indique Philippe Faure-Brac, petit-fils de vigneron provençal, sacré meilleur sommelier du monde en 1992, chez lequel le banc d'essai se déroulait. " c'est dans Régal d'août&septembre. Dans une prochaine chronique je reviendrai sur ce concept de banc d'essai, pour l'heure ce sont les qualificatifs utilisés pour caractériser ce millésime des Côtes-de-Provence qui me font en remettre une couche sur le vocabulaire du vin. Dans une langue, le vocabulaire est un ensemble de symboles à partir duquel se bâtit un langage qui permet à une population ou une corporation de communiquer et, si possible, de se comprendre. Dans le cas présent, le vocabulaire se veut spécialisé car il est utilisé par des spécialistes - le jury du banc d'essai regroupait une sommelière, Myryam Huet oenologue-conseil, un propriétaire de bar à vins, un organisateur de salon de vins, un importateur de vins et un journaliste gastronomique - mais il s'adresse à des lectrices et des lecteurs qui, eux, ne le sont pas. Mon interrogation est simple et sans malice : qu'elle est la fonction de ce vocabulaire ? Donner aux consommateurs des éléments objectifs qui orienteront son choix ? Faire joli : sous les mots fleuris, élégants, de fruits chacun met ce qu'il veut ? Dans cette hypothèse, il s'agit essentiellement de séduire les lectrices et les lecteurs pour les inciter à acheter ces vins. En soi, ce parti est défendable, mais pourquoi diable parer l'exercice d'un vernis technico-scientifique ? La séduction joue dans un registre autre, sauf à penser que Meetic devient la norme des amours du XXI e siècle.
La minéralité me semble un concept purement visuel puisque nos papilles n'ont guère l'occasion d'étalonner leurs connaissances en suçant des cailloux ou des galets. Quand à la fraîcheur, elle est, par essence, totalement subjective, puisqu'il s'agit d'une sensation liée à l'environnement dans lequel on se trouve : déguster un rosé frais sous une tonnelle en Provence ou un rosé tiède dans un igloo du pôle Nord procure-t-il des sensations identiques ? De plus, si la fraîcheur fait référence à la notion utilisée pour le poisson ou les légumes, il faut accepter de classer les vins en deux catégories : les frais et les pas frais mais, dans cette hypothèse, je doute de l'efficacité de la méthode pour des grands vins qui, bien vieux, procurent des sensations plus subtiles. Bref, ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément. Les expressions : être frais comme un gardon le matin ou frais comme une vieille limande le soir expriment bien, sous forme imagée, un état. Sans vouloir ironiser j'admets que la fraîcheur va bien au rosé comme les jupes aux filles.
Reste la gourmandise ? Mémé Marie me disait que c'était un vilain défaut, maman et le curé l'un des 7 péchés capitaux. Le gourmand, et même si nos sociétés sombrent de le relativisme, c'est quelqu'un qui ne peut s'empêcher de consommer, quite à s'empifrer ou se bourrer. C'est un peu compulsif mais, après tout, à chacun d'assumer sa bedaine ou ses rondeurs ou ses excès. Ce qui me pose question c'est que dans le cas d'espèce, le vin gourmandise est un vin gourmet ce qui veut dire un vin raffiné qui procure du plaisir. Ma question est simple : en dehors d'une minorité de vins anonymes, mal fagotés, ratés ou massacrés, les autres ne sont-ils pas, par construction même des produits gourmets ou gourmands ? Le vin, sur le plan nutritionnel, n'est pas indispensable - il a d'autres vertus - si on le consomme n'est-ce pas par simple plaisir ? Là encore, peut-on quantifier l'échelle du plaisir comme l'échelle de Richter ? Bien sûr que non, alors qualifier un millésime de gourmandise est-ce vraiment le différencier d'un autre millésime qui lui serait ascète ou frugal ou, horreur, sobre ? Désolé d'écrire qu'en l'occurence ici, comme souvent, on se paye de mots. Tout ça, bien sûr, n'a aucune espèce d'importance car ce qui importe c'est de vendre du papier glacé, du vin aussi alors tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes...