Ce matin, chers lecteurs, je vous demande un petit effort, prenez le temps de lire ce texte un peu ardu, et si vous n'avez pas le temps : stockez-le ou imprimez-le ! Je vous assure, il donne à réfléchir. Qui plus est, c'est un extrait de la préface d'un très beau livre : " Dessins d'Exode " publié chez Tallandier qui nous plonge dans la vie de tous les jours des années noires de l'Occupation vue au travers de dessins de jeunes filles du cours complémentaire de la rue de Patay dans le 13e arrondissement de Paris. Leur professeur était Adrienne Jouclard, peintre. En illustration je vous offre quelques beaux dessins sur les files d'attentes devant les magasins d'alimentation Julien Damoy, Goulet-Turpin et l'inévitable Au Bon Beurre dans les années 40. Bonne lecture et comme c'est le 8 mai, jour férié, fendez-vous d'un petit commentaire... Merci
On a oublié les cours complémentaires. Le légendaire républicain s'est focalisé sur l'école primaire de Jules Ferry. L'école du peuple se complétait pourtant, après le certificat d'études, par un enseignement primaire supérieur dont les écoles primaires supérieurs déjà prévues par la loi Guizot (1833), constituaient la forme achevée. Ces écoles primaires supérieures, très sélectives, refusaient dans les années 1930 plus d'élèves qu'elles n'en acceptaient. Elles assuraient quatre années de formation après le certificat d'études et conduisaient au brevet. Leurs élèves trouvaient facilement des places de commis aux écritures, de comptable, et même, pour les filles, d'institutrice.
Les cours complémentaires étaient, pour citer le décret et l'arrêté du 18 août 1920, des établissements intermédiaires entre l'école primaire et l'école primaire supérieure. Leurs maîtres étaient moins qualifiés : c'étaient les meilleurs des instituteurs, tandis que ceux des écoles primaires supérieures étaient recrutés par un concours spécifique. L'enseignement lui-même était analogue, mais plus court, deux années en principe, portées cependant à trois ou quatre " pour ceux qui se destinent à des fonctions administratives et notamment à la carrière d'enseignement". de même niveau que le premier cycle du second degré, le primaire supérieur avait exactement les mêmes programmes depuis une décision prise en 1937 par le Ministre du Front Populaire, Jean Zay. La différence était si faible que Vichy put intégrer les écoles primaires supérieures dans le second degré en les transformant en collèges modernes.
Où était donc l'originalité du primaire supérieur ? Elle résidait d'abord dans un corps enseignant fortement marqué par son idéologie et sa coutume pédagogique. Ces maîtres n'avaient pas la formation universitaire des professeurs du second degré, qui étaient alors deux fois sur trois des agrégés. Leur style d'enseignement plus familier, plus proche des élèves, moins magistral, entraînait un contrôle plus personnel d'un travail plus encadré, des exercices moins ambitieux en apparence, mais gradués avec un soin attentif. l'horaire était plus lourd que dans les classes équivalentes des lycées ; trente heures par semaine contre vingt-cinq environ. Cet enseignement, dont la clientèle était modeste, était le lieu d'une promotion sociale ; leurs enseignants en avaient pleinement conscience. Mieux : ils en faisaient leur mission et leur fierté.
Sa seconde originalité tenait à sa souplesse : il "collait" littéralement aux besoins de sa clientèle. Cette souplesse était encore plus grande dans les cours complémentaires, car ils relevaient de l'inspection académique et non du ministère, qui ne les connaissait pas toujours tous. Ils pouvaient créer facilement, voire supprimer si le recrutement tarissait, des sections professionnelles où les élèves recevaient, en même temps qu'un enseignement général large, la formation de base nécessaire pour trouver un emploi dès leur sortie. Ils pouvaient aussi ouvrir des sections de préapprentissage pour les élèves faibles, ou des cours d'adultes financés à faible coût par la municipalité. Dans un système éducatif qu'on croit à tort d'une uniformité jacobine, ces établissements décentralisés manifestaient une très grande adaptabilité [...]
Antoine Prost historien, agrégé d'histoire, professeur honoraire à l'Université de Paris X (chargé de mission auprès de Michel Rocard à Matignon, a dressé en 2001 un bilan au vitriol sur les recherches en éducation...