Je suis prudent, au volant bien sûr, sur mon vélo aussi et sur mon espace de liberté plus encore, non que je bridasse ma liberté mais parce que je suis le plus respectueux possible de celle des autres et, dans les deux premiers cas, parce que je tiens encore à la vie. Ceci écrit, deux précautions valant mieux qu’une sur un sujet aussi sensible : l’alcool au volant, le commentaire sur le contenu du livre : La culture des Problèmes Publics : l’alcool au volant : la production d’un ordre symbolique J.Gusfield University of Chicago Press 1981, traduction française Daniel Cefaï, Economica, 2009, 354 pages, 29 euros, n’est pas de moi mais d’un critique de la très sérieuse « Revue des Sciences Humaines » n°207 août-septembre 2009 www.scienceshumaines.com sous le titre L’invention du chauffard et signé JB (ce sont mes initiales mais je ne chronique pas dans cette revue).
L’approche de ce sociologue américain me semble très intéressante, fort originale et, sans forcément décalquer ce point de vue sur la situation française, et sans volonté de ma part de justifier à un quelconque moment la violence routière et les comportements dangereux liés à l’alcoolisation excessive et à réclamer une quelconque mansuétude à l’égard des chauffards, je pense que les décideurs publics devraient y trouver matière à réflexion pour mieux cerner la réalité, en évitant de fabriquer des statistiques qui agrègent des cas disparates sous une même étiquette, afin de produire des législations mieux adaptées et de ce fait même, plus efficaces.
« Boire ou conduire, il faut choisir. » Oui, mais pourquoi ? Telle est la question faussement naïve que soulève cet ouvrage publié en 1981 aux USA, ayant connu cette année une traduction française tardive […]
À l’époque, l’ivresse est extrêmement stigmatisée : « Tu seras ma mort… si tu es un chauffeur saoul », titre une brochure d’information sur le sujet. Un chiffre (biaisé, montre l’auteur) se répand comme une trainée de poudre dans les médias et attise les fantasmes : il y aurait dix millions d’alcooliques aux USA. L’alcool est considéré comme la cause principale des accidents de voiture selon les statistiques officielles. Mais… ces dernières sont faussées, constate le sociologue : produites par des scientifiques puis utilisées par les administrations et les médias, elles ont subi des généralisations abusives. Et reposent sur des fictions : par exemple un taux d’alcoolémie important est toujours jugé nuisible à la conduite, quelles que soient les caractéristiques du chauffeur. Or, en réalité, certains individus sont peu sensibles aux effets de l’alcool ; il existe même des usagers qui conduisent plus prudemment sous l’effet de la boisson, par peur des contrôles policiers…
Ainsi, le problème de l’alcool au volant, évident en apparence, a connu une construction historique : jusqu’aux années 1930, la réunion de deux questions privées – consommation d’alcool et conduite automobile – n’était pas vraiment jugée problématique. Selon l’auteur, le « problème » a émergé sous l’influence d’acteurs divers (constructeurs automobiles, organisations de sécurité privée…) mais davantage sous l’autorité de la science et du droit. La première a alimenté le débat public d’informations exagérées ou partielles. Le second a diffusé une conception de la sécurité routière focalisée sur le conducteur, écartant le rôle des infrastructures publiques et les industriels de l’automobile. Ainsi, dans les premières études réalisées sur les accidents, des facteurs tels que l’état des routes, la proximité des centres de secours, ou la qualité des véhicules sont largement sous-estimés. De même est évincée une question embarrassante : le contingent annuel de victimes de la route n’est-il pas simplement le prix à payer pour un progrès technologique qui améliore le confort de toute une population ? Selon l’auteur, l’obsession contemporaine pour la responsabilité individuelle et la vision diabolisée du conducteur-buveur comme « ivrogne-tueur » ont contribué à réduire en grande partie la question de la sécurité routière à une seule composante : l’alcool.
Certains dénonceront la dérive sociologisante, et jugeront que le mansuétude envers les buveurs ignore un problème réel, J.Gusfield rencontrait déjà ce genre d’attaque durant ses dix années d’enquête et se justifiait en prétendant décrire une vision plus objective possible de la réalité. D’autres se plairont à déconstruire leurs idées reçues sur le sujet. Ils retiendront qu’un problème public, tels que nous le percevons, n’est jamais qu’une représentation parmi d’autres possibles »
JB