Le vin ne fait pas que la foire en ce moment il fait aussi la une de gazettes où, à priori, le bon peuple vigneron ne s’attendait pas à le voir ainsi traité avec autant de déférence voir de sympathie lui le pestiféré par qui le malheur arrive. Oui, Télérama, l’organe central des bien-pensants, affiche à la Une de son numéro du 19 septembre : Le Vin Une Révolution culturelle ? avec une superbe photo d’une grappe formée de verres de vin. Bravo, même si la révolution culturelle dont-il est question est plutôt celle de bobos dont les parents furent des maos. Qu’importe ! C’est very good. L’article page 23, titré lui dans la lignée du Libé du père July : Le caviste se rebiffe, nous donne la réponse à ce soudain intérêt. Je cite : « Le buveur » est aujourd’hui un ringard, un pauvre type, inadapté à la modernité. Un chauffard en puissance. Un cancer social. Le Kiravi et le Préfontaines ont sombré avec le Formica et la Gitane. À l’Elysée, pour la première fois dans l’histoire du pays, le locataire ne boit que de l’eau, et s’en vante. À l’Hôtel de Ville, le maire a vendu la cave, et l’a fait savoir : plus question de régaler nos hôtes étrangers de Pétrus et de Romanée-Conti quand le jeune électeur ne s’autorise au mieux dans son bar à vin de l’Est parisien qu’un misérable ballon de rosé sans soufre... »
C’est beau, non ! Le gros rouge à la Zola du petit peuple besogneux a laissé la place au boire chic du bobo de l’Est parisien. Y’avait plus que ce pauvre Chabalier pour se pochetroner au petit blanc de comptoir (Le film Un dernier pour la route tiré de son livre sort sur les écrans cette semaine si vous voulez voir la bande annonce http://www.cinefil.com/film/le-dernier-pour-la-route.) Comme nous sommes à Téléramuche : un coup de griffe à droite, un coup de patte à gauche, vous me direz trois paters et deux aves. Je signale à ce journaliste, que la cave du maire de Paris, qui était plutôt celle de l’ancien Secrétaire-Général, ne recelait guère de Pétrus et de Romanée-Conti, et que ce genre d’argument pour le Président comme pour Delanoë sent le poujadisme des bien-pensants. Quand au petit rosé sans soufre ce n’est pas donné camarade. Bref, la suite de l’article est gentillette, très j’ai 2 sources et je fais un article, mais je ne crache pas sur le bonheur de voir le vin à l’honneur. Je regrette simplement le côté je brosse mes lecteurs dans le sens du poil. Les belles plumes assassines mais pertinentes sont une espèce en voie de disparition que Greenpeace devrait appeler à protéger.
Le N° Spécial Vin de Science&Vie est d’un autre tonneau. Sérieux, même s’il recèle parfois lui aussi, surtout dans le registre économique, des lieux communs, ce magazine qui s’adresse à un lectorat jeune et avide de savoir aborde des sujets que nous ne retrouvons presque nulle part ailleurs. Je vous recommande donc son acquisition pour 7 euros. Ce matin je vais me contenter de placer ma focale sur un sujet qui m’est cher : la dégustation. « Nous sommes tous des daltoniens du goût » titre l’article de Science&Vie, et cette affirmation, qui n’est pas en soi une condamnation de l’exercice de dégustation, permet de bien remettre les pendules à l’heure. Les travaux de Patrick Mac Leod, de Marc Danzart, de Frédéric Brochet et de quelques autres scientifiques structurent l’article. C’est passionnant et pour ne pas édulcorer l’article j’ai renoncé à ma pratique habituelle des extraits. Si vous souhaitez réagir, lisez l’article et je suis prêt à accueillir les points de vue sur l’importante question posée dans l’article : « De quoi se demander, au vu de son manque de fiabilité, si la dégustation ne sert tout simplement à rien. Une conclusion problématique, car si la dégustation ne porte pas à conséquence quand elle est conduite entre amis pour le plaisir, elle est en revanche décisive pour accorder une appellation d’origine ou contrôler la qualité d’un vin »
Que mes amis « dégustateurs de profession» ne lèvent pas le bouclier, Science&Vie donne la parole en défense à Robert Parker dans une interview : et pourtant, il critique... Pour ma part je suis et je reste un chaud partisan de la critique littéraire, cinématographique, artistique, musicale, gastronomique et du vin... avec sa part de subjectivité, sa difficulté à traduire par des mots des sensations, car elle participe à la diffusion de la culture du vin. Mon combat reste focalisé sur, comme un encart de Science&Vie le titre, la dégustation de contrôle en quête d’objectivité. Même si la réforme des procédures de l’INAO minimise cet aspect je ne suis pas encore convaincu que certains petits génies de la normalisation croskillienne ne rêvent pas toujours de cet « air de famille », de cette typicité réductrice, stérilisante, de ce côté je ne veux voir qu’une seule tête.
Sans vouloir conclure sur un sujet aussi chaud, je reste persuadé, comme un intertitre de l’article le souligne : sans la vue tout est perdu, que le vin est une boisson sociale, que la bouteille est destinée d’abord à être vue par ses convives, qu’elle est statutaire : GCC ou petit vin découvert chez un petit vigneron, peu importe, l’étiquette positionne, nous goûtons le vin d’abord avec nos yeux car il est peu fréquent de bander les yeux de ses invités ou de servir une belle bouteille dans une chaussette... Ce que j’écris n’en est pas pour autant une condamnation des dégustations à l’aveugle, bien au contraire, ce que je veux souligner c’est que, face à cet exercice, je trouve mesquin que certains grands seigneurs s’offusquent, dégainent leur puissance de feu de « parrain » du vignoble, si suite à des dégustations ainsi faites, avec sérieux, leur sublime nectar se retrouve parfois dans le ventre mou du peloton. C’est la loi du genre. C’est l’arroseur arrosé. Messieurs les nouveaux grands de notre petite galaxie du vin, un soupçon d’élégance ne nuirait pas dans l’univers impitoyable du vin...