C’est quoi la grandeur au juste ?
À quelle unité de mesure se réfère-t-on ?
Le Général de Gaulle, grand expert de la grandeur, surtout de celle de la France, l’a assez bien définie, dans sa double acception, en rétorquant à un manant qui se risquait à lui dire :
- Mon Général, je suis plus grand que vous !
- Vous n’êtes pas plus grand. Vous êtes plus long…
Mais pourquoi diable une telle interrogation ce matin ? Nulle référence au politique, dieu m’en garde, mais la découverte, sur le blog de Jean-Luc Thunevin www.thunevin.com , suite à une chronique où il se posait la question : « Doit-on dire du mal ou du bien des critiques ? » d’une passe d’armes, je n’ose la qualifier de grande de peur de paraître ironique, a opposé entre autres Michel Bettane à Hervé Bizeul sur le thème : Grands Terroirs, Grands Vins…(lire la rubrique COMMENTAIRES sur le blog) Pour résumer :
Existe-t-il des terroirs inexplorés, méconnus, en devenir,
qui, un jour, sous la main d’hommes aventureux et inventifs, permettront d’élaborer des Grands Vins découverts ou consacrés comme tels par la critique ?
ou
la hiérarchie actuelle, héritière d’une histoire, somme toute récente, est-elle figée dans le bronze d’une forme d’art officiel entretenu par le conservatisme, la frilosité ou tout autre qualificatif peu amène, de cette même critique ?
Sans être discourtois vis-à-vis de la critique, des critiques, la renommée de la Bourgogne ou de Bordeaux, les hiérarchies en place, ne leur doivent pas grand-chose car elles se sont construites, au fil de l’Histoire, grâce à une étrange alchimie entre des commerçants parcourant le vaste monde, des buveurs de vin, amateurs ou non, des puissants, des bourgeois, toujours fortunés : économie de l’offre ou de la demande ? Je te satisfais, vais-je au devant de tes désirs, de tes besoins, de tes caprices ou fais-je en sorte de te séduire, de flatter ta vanité, tes désirs de singularité, de statut ? L’écheveau de ce questionnement n’est, et ne sera jamais dénoué, car la complexité de l’âme humaine ne le permettra jamais. Le vin, du moins celui dont il est question, a été et reste un marqueur de statut social. La vêture, la maison, ceux qu’on y reçoit, pour les honorer ou leur donner de soi une belle et grande image par les mets et les vins servis dans de la belle vaisselle et de beaux verres… Nul besoin de notations, de conseils, les Grands Vins sont les enfants des Grands de ce monde.
Pas que cela bien sûr, car à l’origine, à leur origine, il y a eu ceux qui se sont courbés sur la terre, l’ont défriché, ont sculpté des paysages en déforestant, en transformant les sols, ceux qui ont apparié la vigne au sol, qui n’était pas encore un terroir, au climat, à l’exposition, souvent en des lieux proches des grands axes de communication, des grandes foires. Toute activité humaine est liée à la nécessité et non à je ne sais quel génie. Mais la sueur ne suffit pas, elle est rarement récompensée à sa juste valeur, ou sa vraie valeur, car la valeur du vin du vigneron, que ça plaise ou non, a été et reste, pour une grande part, celle ajoutée par la notoriété que d’autres que lui ont su, ou pu, lui conférer dans le système des échanges. En écrivant cela je ne suis pas en train de chanter les louanges du commerçant, qui peut ne faire qu’un avec le vigneron d’ailleurs, mais je m’efforce d’expliquer comment s’est construit le système de référence sur lequel nous vivons.
Erik Orsenna, dans son livre sur le coton, écrit des phrases sur lesquelles tous les protagonistes cités plus haut devraient méditer. Bien sûr le coton est une matière première, alors que le vin est un produit fini dès son élaboration, un produit noble, mais sur le fond ce qu’écrit notre académicien grand amateur de vin, à mon sens, a valeur universelle. « Ceux qui préfèrent tout simplifier aiment à croire qu’un monde sans intermédiaires serait meilleur […] Sans appui, les offreurs auraient bien du mal à rencontrer les demandeurs. Bref, il faut des marieurs : ce sont les négociants. On connaît l’origine du mot : la négation « ne » et le substantif latin « otium » (loisir). Et, en effet, le bon négociant n’a guère de loisir ni de repos. Non content de se tenir perpétuellement et planétairement informé des besoins et des disponibilités, il doit, pour bien marier, proposer toutes sortes de services et assumer toutes sortes de risques… »
J’aime beaucoup cette appellation de « marieur » qui, dans le monde du vin, des Grands Vins ou de ceux qui aspirent à le devenir, assemble en une même communauté d’intérêts : producteurs-négociants et critiques, comme dans le monde de l’art contemporain où les artistes, les galeristes et les critiques font le marché. Certes le mot marché est devenu un gros mot car il a été annexé par ceux, tout particulièrement les gens de la finance, qui l’ont vidé de sa consistance physique et de sa réalité humaine, mais, même ceux qui protestent contre la marchandisation, doivent passer par l’acte commercial qui est le véhicule de toute forme d’échange y compris pour le troc. Certes, comparaison n’est pas raison, l’acte artistique est pure création de la main de l’homme alors que pour le vin celle-ci doit passer par l’intermédiation de ce que certains qualifient, faute de mieux, du terroir. Le vigneron n’est pas un artiste mais un artisan qui, en se penchant sur sa terre, en la cultivant, dans toutes les acceptions du terme, la transforme, la bonifie, la transcende, la magnifie, et rien n’interdit objectivement de penser ou de croire qu’il ne puisse en faire émerger un Grand Terroir qui sera reconnu par les générations futures.
Les Grands Vins proviennent tous bien sûr de Grands Terroirs mais l’amateur peut très bien ne pas apprécier un Grand Vin, tout en reconnaissant qu’il est Grand et qu’il provient d’un grand Terroir, et qualifier de Grand un Vin de plus petite notoriété sans pour autant avoir besoin, pour exprimer son jugement, l’apprécier, de le rattacher à un Grand Terroir. Ce que je souhaite exprimer en écrivant cela c’est que ce qui compte, en matière d’esthétique, de goût, je n’écris pas de bon goût, c’est l’éclectisme, la curiosité, la découverte et non un certaine forme de conservatisme rassurant qui s’en tient aux valeurs établies, dites sûres, que l’on peut bien évidemment, elles aussi, apprécier, aimer. Les carcans entravent car ils sont rigides je leur préfère les espaces de liberté où il est possible de se construire son système de référence dans lequel, les critiques sont, comme d’autres, des prescripteurs, des éclaireurs, mais surtout pas des juges aux élégances sur qui reposeraient les vraies valeurs. La grandeur, avec sa part de vanité, n’en n'étant pas une.
Pour clore cette chroniques, deux points accessoires me hérissent dans le monde de la blogosphère :
- les commentateurs, souvent anonymes, qui se prennent pour des nettoyeurs des écuries d’Augias ;
- le poujadisme utilisé par certains pour disqualifier les propos de celui dont ils contestent les analyses.