Ce « Voyage imaginaire autour de Barbe Nicole Ponsardin Veuve Clicquot » écrit par Elvire de Brissac est un petit bijou d’écriture vive et alerte, riche et documenté, que tous les amoureux du vin se doivent de lire.
Qui mieux que l’auteur est en mesure de présenter la Veuve Clicquot – je m’y suis essayé dans une chronique : « Les veuves industrieuses : Amiot et Clicquot »
http://www.berthomeau.com/article-15288559.html – alors laissons à Elvire de Brissac ce soin avant qu’elle ne se glisse dans la peau de Barbe Nicole Ponsardin Veuve Clicquot 1777-1866.
« J’ai 230 ans, le premier nom féminin célèbre de l’histoire du luxe ; 12 ans à la Révolution et 90 ans à la fin du Second Empire. Je suis née à Reims, morte à Reims, entre temps j’ai vendu des milliers – aujourd’hui des millions – de bouteilles. Mon affaire m’est tombée sur la tête à 27 ans, quand j’ai perdu mon mari ; entourée d’hommes exceptionnels comme Edouard Werlé, mon successeur, je suis la veuve la plus fêtée du monde. Qui suis-je ? Elvire de Brissac, ma descendante, esquisse une réponse dans ce Voyage imaginaire. »
L’extrait que je vous ai choisi est représentatif de mon incommensurable mauvais esprit. Bonne lecture et achetez, offrez à vos amis et relations ce « Voyage imaginaire autour de Barbe Nicole Ponsardin Veuve Clicquot » paru chez Grasset 14,50 euros et lisez-le sans modération.
« Plus je me renseigne, plus j’apprends que « la mousse du vin de Champagne […] est […] une sorte de Protée (1) pour les négociants et les propriétaires les plus expérimentés ». Alors pour moi qui ne sais rien ! Qui sais cependant une chose depuis que j’ai fourré mon nez dans ce commerce, une chose que me répétait François de son vivant et qui semble en parfaite contradiction avec ce que je viens de dire : nous devons faire tout mieux que nos concurrents, viser la première place, acheter, tant pis, les vins les plus chers de la place afin de parvenir à la perfection. « Une seule qualité, la première », telle est ma devise depuis le premier jour.
Bien entendu les bouteilles mises dans le noir ne se sont pas tenues tranquilles : les cellules des levures se sont multipliées pendant la fermentation et ont formé un dépôt qui rend le vin trouble, alors que les clients le veulent le clair. On sort ce fond ténébreux, filandreux en faisant dégorger les bouteilles – imaginez-vous le temps perdu à ce remuage – on recommence autant de fois que nécessaire. Puis on procède au dosage, c’est-à-dire qu’on croise le vin, qu’on le détend avec toutes sortes de trucs : selon les années, on lui ajoute de « l’esprit » – cognac ou eau-de-vie – pour corriger son acidité, ou bien on le teinte de liqueur de Fismes (à base de baies de sureau bouillies et de crème de tartre) pour obtenir des champagnes rosés ; pour le clarifier, on le colle ; on le sucre avec une solution sucrée, bref on veut le voir gai comme un oiseau des bois quand il sera enfin commercialisé au bout de deux ans. Nous ne voulons pas d’un champagne tranquille ! »