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19 mai 2009 2 19 /05 /mai /2009 00:04


Pensez-donc, 5 semaines passées à arpenter les hauts lieux, et les plus modestes aussi, du vignoble bordelais, rien que des châteaux, des noms prestigieux, des vins qui font rêver, notre Jacques Dupont Merveilleux du Vignoble, en vrai géographe du vin n’a pas ménagé sa peine : 750 vins annotés, commentés, notés, mais je ne sais combien il en a humé, goûté et recraché avant d’en arriver là ? Bravo l’artiste ! Prendre le temps donc, même si notre beau « nez du vin » a rendu visite à des nurseries où des bébés vins sont un peu comme les yearlings des ventes de Deauville, les beaux pedigrees ne font pas forcément des champions de demain, le temps de l’élevage fera son œuvre et il faut se garder des jugements définitifs.

Comme je suis plutôt un gouteur de mots qu’un gouteur de vins je me suis donc plongé dans une lecture attentive, attentionnée même, du guide de Jacques Dupont « Bordeaux le millésime 2008 ». Qu’en dire me suis-je dit chemin faisant ? Commenter les commentaires ? Ridicule ! Dresser un florilège des propos, forts intéressants, des gens du vin de châteaux rapporté par Jacques ? Risqué ! Que faire alors ? Lire avec mon compagnon habituel : un crayon de papier taillé pointu. Et comme souvent, ma main, mue par je ne sais quelle pulsion, s’est mise en mouvement sans que je sache très bien où elle voulait me conduire. Avec mon crayon je dessinais des bulles autour de mots et d’expressions. Comme j’adore les bulles et que je suis un bulleur, rien d’étonnant mais, très vite, passant de l’état gazeux à l’état solide je ne pouvais que constater une forme de scansion de mes notations « bullesques » : tendue au féminin pour la bouche et tendu au masculin pour le vin.

 

132 bouches tendues avec des nuances :

 

-         Bouche tendue = 108

-         Bien tendue = 8

-         Un peu tendue  = 5

-         Assez tendue = 1

-         Très tendue = 1

À ces bouches tendues il faut rajouter :

-         Finale tendue = 5

-         Finale assez tendue = 2

-         Finale un peu plus tendue = 2

 

Et 68  vins tendus avec des nuances :

-         Tendu = 57

-         Un peu tendu = 2

-         Assez tendu = 1

-         Très tendu = 1

-         Structure tendue = 1

-         Tendu en final = 1

-         Un peu tendu en finale = 1

-         Un peu de tension en finale = 3

-         Tension = 1  

 

Tension : le mot est lâché !

 

Je sais qu’après un tel exercice ma réputation de barjot va être confortée mais, que voulez-vous, c’est ainsi, je ne me changerai jamais.

 

Qu’est-ce donc une bouche tendue ? Laissons de côté l’interprétation des canaillous qui l’assimilerait à « Lèvres en Feu » ou « Hot Lips », surnom donné à l’infirmière en chef Margaret O'Houlihan du film-culte d’Altman MASH par les 2 monstres sacrés Donald Sutherland et Eliott Gould, ou à la bouche Donald Duck d’Emmanuelle Béart ou d’Arielle Dombasle. Pour ma part je penche pour une tension intérieure : « appliquer son esprit, son attention, avec intensité vers… » c’est-à-dire avoir un but, une fin et s’en rapprocher de manière délibérée comme tendre à la perfection, vers la perfection… Ces bouches tendues de Jacques Merveilleux du Vignoble – bordelais pour l’occasion – sont donc pour moi des bouches réceptives donc apte aux perceptions. Mais, comme je ne pratique qu’en division départementale de la dégustation, en vétéran, ma vision de la bouche tendue n’est peut-être pas celle en vigueur dans la Champion’s League des dégustateurs où, tendue, s’assimilerait à un phénomène physique : à la manière d’un tir tendu ou de compétiteurs remontés comme des pendules par les consignes du coach qui leur a dit « qu’ils n’avaient pas droit à l’erreur ». J’adore cette formule idiote.

 

La notion de vin tendu me semble, elle, ne souffrir d’aucune ambigüité, nous sommes ici dans le domaine du psychique où le vin tendu doit s’efforcer de se détendre, de se relâcher, d’être plus zen. Sans vouloir jouer les Freud de pacotille j’ose écrire que ce sont des vins en mal de divan qui doivent, pour s’exprimer pleinement, se départir de leurs pulsions, de leurs phantasmes, de leurs tensions. J’adorerais coacher des vins tendus. J’irais, costume anglais, grolles milanaises, Cayenne noir, lunettes cerclées, Sony ultra-portable sous le bras, l’air sur de moi, de chais en chais, me pencher sur ces stressés pour les dénouer. Je les écouterais pour percer les plis et les méandres de leur âmes puis je leur projetterais « Vicky Cristina Barcelona » le dernier film de Woody Allen pour leur donner envie de se retrouver, en tête à tête, aux bords des lèvres, de Scarlett Johansonn. Les désinhiber quoi ! Après les « œnologues stars » j’imposerais dans les châteaux de Bordeaux les coaches star de vin tendu… Pour les propriétaires stressés par le revirement des cours, là je me déclare incompétent. 

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commentaires

L
Très bon papier. J'apprécie les commentaires de Michel et David - comme on dit dans la garde républicaine, où l'on sort toujours à deux ou à cheval: "Il y a plus dans deux têtes que dans une". Un autre mot à la mode, ces derniers temps: minéral. J'ai même vu tension minérale. Il faut dire que les pierres molles, c'est assez rare.Petit complément d'analyse: tension, moi, ça m'évoque la virilité, par opposition à la mollesse. Un vin tendu, c'est un vin qui ne se débande pas. Qui tire tendu et précis. Bon, je vous en reparle après ma séance, le Docteur Sigmund m'attend.  
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I
Très bel article - en texte et image:-) - dégustrant un vin hier soir, j'étais à la recherche d'un mot, qui signifierait un vin rectiligne, une belle verticalité, tendu aurait été bienvenu, s'il m'était venu à l'ésprit:-).Comme Michael et David l'ont déjà bien dit: on constate très vite les adjectives à la mode, dans les articles des journalistes et très vite dans les forums sur le vin - et même chez les dégustateurs dans nos chais...J'attendrais donc l'arrivé de "tendu" dans ma cave - pour les vins jeunes, avec leur "acidité et leur tannins un peu vifs" cela ne devrait pas tarder à remplacer "fraicheur", que j'entends assez souvent. C'est bien, que Jacques Dupont précise avec humour sa définition - j'aime beaucoup l'opposition aux vins "patapoufs":-).
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D
Bravo pour l'esprit de ton article Jacques. Le grand problème des commentaires sur un vin, verbaux ou écrits, est la pauvreté et l'imprécision du language accepté pour cet exercise périlleux. Et il s'agit, de toute façon, d'une activité fondamentalement subjective. Comment communiquer alors ?La tentation est grande alors de s'appuyer sur un mot qui signifie quelque chose pour le dégustateur, sans nécessairement de préoccuper de son acception par l'auditeur ou le lecteur. Et Michel Smith a raison quand il souligne aussi la propension des professionnels du vin à s'imiter les uns des autres avec une rapidité étonnante. Ce syndrome du perroquet a donné récemment une explosion du mot "minéral" à propos de toutes sortes de vins, sans qu'il soit clairement dit de quoi il s'agit. Mais on n'entend plus parler de "pierre-à-fusil", terme encore courant il y a 10/15 ans. Peut-être a-t-on enfin changé le fusil de l'arrière grand-père ?Les études du vocabulaire du "parler vin" sont intéressants à ce propos. J'ai le souvenir du travail de Frédéric Brochet.Parfois je rêve de ressusciter Boris Vian pour entendre et lire sa version d'une dégustation de vins !
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J
Bravo pour le calcul, j'aime beaucoup ton interprétation de la tension et surtout le remède pour se  déshiniber. Pour ma part, la tension était moins poètique. Ce millésime, dans les vins rouges,  met en avant une certaine acidité et des tanins un peu vifs. J'aime assez ce profil, que l'on connaissait avec 1998, 1988... Le contraire de 2003 ou des vins récoltés en surmaturité et trop extraits, je les qualifierais volontiers de vins patapoufs. Un qualificatif qu'il te faudra compter si de nouveau, nous avons à l'avenir une année caniculaire... Jacques Dupont
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M
Dire d'un vin qu'il est "tendu" est semble-t-il le dernier terme à la mode. Je l'ai en-tendu pour la première fois venant de la bouche d'un oenologue du Sud de mes amis il y a 3 ans. Il utilisait ce mot à tout va tant et si bien que j'ai été tenté depuis de m'en servir  à maintes reprises sans être cependant totalement convaincu de son utilité. Un mot comme cela apparaît de temps en temps,  tous les 2 ou 3 ans, dans l'univers très fermé des critiques du vin où il est vite récupéré, voire adopté. C'est un monde petit où l'on s'épie, où l'on se copie parfois, où chacun subit sans le savoir les influences de l'autre. Fut un temps où, dans les guides et différents articles sur le vin, on relevait l'utilisation parfois abusive du mot "minéralité". Olivier Poussier, notre meilleur sommelier du monde, qui écrit aussi dans la docte RVF, a probablement contribué lui-même à populariser ce mot qui veut bien dire ce qu'il veut dire. C'est donc devenu un mot utile ainsi qu'un mot courant. Moi-même, modeste plumitif du vin, copain de Poussier, j'en ai usé, abusé et je l'utilise encore peut-être tant ce mot est pratique pour décrire un vin, souvent issu de la biodynamie, où l'on sent la pierre, où l'on devine la profondeur de l'enracinement. On a tous nos tics. "Profondeur", justement, est un terme que j'utilise à tout va en ce moment, tout comme "fraîcheur". Cela me passera un jour. Mais pour l'heure, "fraîcheur" et "profondeur" sont des mots qui décrivent à la perfection les sensations que l'on peut avoir en présence d'un vin. Pour en revenir au mot "tension", je ne l'utilise plus car, écrivant de préférence ce que je ressens, j'ai du mal à le visualiser dans ma dégustation. Le vocabulaire du vin va encore s'enrichir et c'est tant mieux ainsi.
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