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8 mars 2009 7 08 /03 /mars /2009 00:01

  

En dépit des minauderies de Dick et des efforts de la vieille peau poudrée de riz pour détendre l’atmosphère, celle-ci  restait à couper au couteau. Ce n’était pas pour me déplaire. Paul-André Zavatsky, l’un des as du marché noir du Tout Paris de l’Occupation, antisémite type à la polonaise, plein de morgue et de superbe attendait son heure. Les deux marseillais, chacun dans leur registre, affichaient leur méfiance. Chloé, sans même les consulter, fixait le montant des mises et demandait que chacun des joueurs affiche ses garanties de solvabilité. À ma grande surprise, et plus encore de celle des protagonistes de la partie, elle tirait de son minuscule sac Chanel un lingot d’or qu’elle déposait devant elle avec l’insouciance que seule les femmes de haute volée savent afficher face au gibier de potence qu’elles fréquentent pour assurer la couverture de leurs besoins. Passé l’effet de surprise monsieur Paul et monsieur Albert affirmèrent de concert que pour eux c’était « parole » et qu’ils se portaient garant d’Annabelle. Chloé opina. Restait la raclure aux mains sales. Elle goûtait à demie la plaisanterie sans pour autant en exprimer les symptômes. D’une voix qui se voulait détachée il lâchait enfin « je vous signe une reconnaissance de dette en blanc… »  Chloé toussotait et le toisait « un peu léger cher monsieur mais nous nous en contenterons car nous disposons de bons moyens pour que vous l’honoriez… »

La stratégie de la dissuasion de mon équipière portait ses fruits : ses partenaires de jeu partaient avec un lourd handicap. Pour eux, sans aucun doute, ça sentait le traquenard. Coincés, je les sentais exclusivement préoccupés par la manière de s’en sortir au moindre frais. Les plumeurs de volailles, jamais confrontés à ce type de situation, ne disposaient pas des armes nécessaires. Ils devaient improviser et ce n’était pas leur for l’improvisation. L’entame fut mollassonne, chacun jouait petit bras, on se serait cru dans une banale partie de belotte du samedi soir. Cependant, comme les petits ruisseaux font les grandes rivières, et que Chloé ramassait à tout coup, ou presque, le pot, le temps jouait contre cette stratégie attentiste. Monsieur Paul engagea le premier la contre-offensive. Intelligemment Chloé le laissa s’enfourner dans ce qu’il croyait une brèche. Zavatsky le suivit. Annabelle avait abdiqué depuis le départ en se contentant du minimum syndical. Seul monsieur Albert, qui affichait un cigare conquérant, semblait avoir pris la mesure de la situation, il attendait son heure et manifestement sa première victime serait le Polack. Dick papillonnait en jouant la fille de la maison. Vers minuit, monsieur Albert demandait une pause d’un quart d’heure pour satisfaire ses besoins personnels. Sans nul doute les deux marseillais allaient se concerter et j’espérais beaucoup de cette pause pipi.

Mon diagnostic se confirma dès la reprise, les deux vautours se ruèrent sur Zavatsky sous le regard narquois de Chloé qui se contentait de se maintenir à flot. En moins de deux heures ils le mirent à poil, sans un. La reddition s’opéra sans aucun échange verbal. Les 10 patates furent portées, d’une main qui se voulait ferme, sur la reconnaissance, par l’ex-roi du marché noir mais, au moment où il voulut porter le nom du porteur, Chloé l’arrêtait « Tu laisses en blanc, maintenant nous allons passer aux choses sérieuses et les dieux du jeu n’ont pas encore choisi. » Zavatsky consultait les deux marseillais du regard. Monsieur Albert virait du jaune au blême pendant que monsieur Paul passait de l’écarlate au cramoisi. Cette péronnelle hautaine commençait à les agacer mais ils ne pouvaient qu’acquiescer. Annabelle voulait jeter l’éponge. Chloé lui accordait du tac au tac son bon de sortie sous condition : ses garants prenaient à leur compte ses intérêts.  La coupe était pleine mais ils la burent jusqu’à la lie sans moufter. Je bichais. Zavatsky voulut s’esbigner. « Tu n’en as pas fini avec nous râclure alors tu poses ton cul et tu attends » Mon ton ne souffrait aucune discussion. La peur s’installait. De perdreaux de l’année nous nous étions mués, Chloé et moi, en redoutables requins, ça les plongeait dans une perplexité proche de l’attrition. D’où sortions-nous ? Qui étions-nous ? Que faisions-nous sur cette croisière de rentiers ? Nous ne correspondions à aucun des profils auxquels ils étaient confrontés dans leur ordinaire habituel. Escrocs de haut vol ou nouvelle génération née de la chienlit récente ou les deux ? L’option barbouze échappait à leur questionnement : nous n’avions pas la gueule de l’emploi.

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