Depuis dimanche dernier, date à laquelle j’ai découvert dans la presse méridionale des articles faisant état de l’existence d’une enquête préliminaire menée par la Brigade de Recherche de la Gendarmerie de Carcassonne concernant « un soupçon de vaste fraude » sur des achats de cépage Pinot par un négociant de Carcassonne, la SAS Ducasse, auprès « d’une dizaine de viticulteurs et de caves coopératives ». Le nom de la coopérative, Sieur d’Arques, y est cité, je suis stupéfait par ce que j’entends ou lis.
Une remarque liminaire : il est inadmissible qu’alors que cette « affaire » n’en est qu’au stade d’une enquête préliminaire une « fuite », manifestement voulue, mette dans la nature des éléments de cette enquête. On ne peut parler de secret de l’instruction car le procureur de la République n’en a pas encore diligenté une. Les journalistes ne sont là que les « haut-parleurs » d’une « gorge profonde » qui se fait mousser au mépris de la déontologie de sa fonction. L’acte anonyme n’a rien de courageux, que je sache l’affaire n’était pas enterrée. Notre démocratie est bien malade et le sens civique bien émoussé pour que certains piétinent ainsi nos principes.
Écrire ce que j’écris ne préjuge en rien de la gravité des faits ni des responsabilités en cause. Simplement, je rappelle à ceux qui avec cynisme ou légèreté jettent en pâture des informations, par nature invérifiables par ceux qui les réceptionnent, que c’est pure lâcheté. En effet, lorsque je prends le cas de la coopérative de Sieur d’Arques, dont les dirigeants n’avaient même pas été auditionnés par les enquêteurs à l’heure où les articles furent pondus, la voilà sommée de s’expliquer à la barre de l’opinion publique. C’est une infamie ! Je ne souhaite pas à ceux, y compris les localiers qui pratiquent un amalgame douteux, de découvrir un jour leur nom jeté ainsi à l’opprobre du bon peuple. C’est la loi de Lynch.
Le mal est fait. Le soupçon plane. Certains avec une jubilation malsaine profitent de la situation pour hurler avec les loups. Par bonheur, d’autres scandalisés par de tels procédés m’ont incité à écrire cette chronique. Je ne défends personne. Je plaide pour une administration sereine de la justice. Bien sûr certains feront remarquer, avec un sourire entendu, que ma plume est vive car les dirigeants de Sieur d’Arques sont de mes amis. J’en conviens, ils le sont et ils le resteront mais sachez qu’elle l’aurait été pour n’importe qui d’autre. Ma sensibilité sur cette question essentielle de la présomption d’innocence n’est pas de fraîche date, elle est au cœur de ce que mes parents m’ont inculqué : le respect des autres.
Dans une chronique de décembre 2006 mettant en cause des gens bien j’écrivais : « La justice des hommes doit s'exercer loin des passions, de la foule versatile et surtout respecter ses propres règles en évitant de jeter en pâture des citoyens présumés innocents. C'est l'honneur et la grandeur des démocraties que de tenir bon face aux dérives d'une société avide de sensationnel confortée en cela par des médias violant le secret de l'instruction.
Pour ma part, ayant dans l'affaire du Crédit Agricole de la Corse été entendu comme témoin - j'étais chargé du dossier Corse au cabinet du Ministre entre 1988 et 1990 - j'ai eu la désagréable surprise de découvrir sur l'internet, de la part d'un ragotier en mal de sensationnel, des insinuations et des sous-entendus basés sur une rhétorique imparable : toute personne qui entre dans le cabinet d'un juge d'instruction est un coupable potentiel. C'est très grave car le juge instruit à charge et à décharge, il fallait donc que ce magistrat puisse remettre les faits dans leur contexte en auditionnant toute personne en capacité de nourrir son dossier. Des directeurs du Ministère eux aussi avaient été entendus, mais ce n'était que du menu fretin pour les délateurs, un ex-directeur de cabinet de Ministre, ça fait saliver dans les chaumières. Dans cette affaire, j'ai eu droit, à une pleine page dans un journal local : le Monde, avec même un encadré, où mon témoignage transcrit dans le PV était soumis à un autre témoin mineur : Pierre Joxe, Ministre de l'Intérieur à l'époque, et Premier Président de la Cour des Comptes lors de sa déposition. Témoin j'étais entré, témoin je suis sorti et ma vérité valait celle d'un plus puissant que moi...Tout ça pour quoi ? Pour alimenter le populisme des tous pourris. Comme si le témoin d'un accident par le fait même de sa présence sur les lieux puisse en être jugé responsable.
Dans la vie que l'on vit, seuls les bras croisés, les yaka, les fokon, s'exonèrent à bon compte, lapident ceux qui agissent, qui prennent des risques, le risque de croiser des escrocs, de travailler avec des gens sans parole, le risque de faire dans le cambouis du quotidien, le risque parfois - et je l'écris - de faire le sacrifice de sa vie comme Lucien Tirroloni le président de la Chambre d'Agriculture de Corse du Sud, qui était mon ami, et qui a été lâchement abattu par des soi-disant « purs ». La santé d'une démocratie se mesure à la capacité des médias d'informer les citoyens sur la face cachée des « grands de ce monde » mais à la condition de tirer ses informations non des poubelles, des rumeurs d'officines, mais d'enquêtes sérieuses et vérifiées. Souiller, bafouer l'honneur d'hommes et de femmes innocents est trop souvent une marque indélébile, un sceau d'infamie intolérable. »
Je ne retire pas un seul mot de ce que j’avais écrit ce jour-là. Très sincèrement vous me feriez réellement plaisir si pour une fois vous sortiez de votre réserve car « ça n'arrive pas qu'aux autres ! » Bonne journée à tous.