L’Afrique affamée par la spéculation sur les céréales ICI
Dessin de Bénédicte paru dans 24 Heures Lausanne
Les prix alimentaires ont augmenté de 30 % en un an. Pourtant, malgré la guerre en Ukraine, les ressources sont stables et il n’y a pas de pénurie. Mais des fonds de pension jouent sur les prix de la nourriture, aggravant la faim sur une grande partie du continent.
Margot Gibbs, Thin Lei Win, Sipho Kings
The Continent
Johannesburg Hebdomadaire en Anglais
C’est au cœur d’un monde bouleversé par la pandémie de Covid-19 que The Continent s’est lancé, en avril 2020. Ce média original a pour ambition de réunir “les meilleurs des reportages” faits aux quatre coins du continent africain. “Jamais le besoin d’avoir accès à une information précise, profonde et juste n’a été aussi pressant”, écrit le titre dans son premier éditorial. “Nous ne pouvons vous distribuer des tests de dépistage. Nous n’avons pas de respirateurs, mais nous avons un travail vital à faire : vous informer.” Adossé au très réputé journal sud-africain Mail & Guardian, The Continent est un hebdomadaire disponible gratuitement, au format PDF, et pensé pour être partagé sur les réseaux sociaux.
Des contrats alimentaires de plus en plus spéculatifs
Le cours du blé de meunerie à Paris, plus grand marché aux grains d’Europe, est symptomatique de la conjoncture actuelle. En 2018, environ un quart des contrats alimentaires étaient spéculatifs. Ce chiffre a depuis triplé, pour atteindre trois quarts.
Ces marchés permettent aux futurs stocks d’être vendus dès aujourd’hui. Habituellement, un agriculteur estime le volume de sa récolte en fin de saison ; un négociant convient de l’acheter à un prix donné. L’agriculteur est alors rémunéré pour acheter de l’engrais et tout ce dont il a besoin pour produire cette récolte. Ensuite, il livre le blé. Cette série d’étapes présente toutefois des risques : les récoltes peuvent être mauvaises, des guerres sont susceptibles d’éclater, une récolte exceptionnelle peut entraîner un effondrement des prix.
Pour gérer ce risque, le négociant peut vendre un contrat pour le même volume de céréales sur le marché à terme. C’est à ce stade qu’intervient le spéculateur : un investisseur peut parier sur une hausse du prix d’ici à la récolte [en raison de la météo ou d’une pénurie, par exemple] et acheter le contrat proposé. Si le prix augmente, l’investisseur encaissera la différence.
Une spéculation maîtrisée permet aux agriculteurs et à leurs acheteurs de limiter leurs risques et de prémunir leurs revenus des imprévus et des instabilités. Mais si la spéculation est excessive, la demande artificielle des spéculateurs peut pousser à la hausse les prix des contrats à terme, indépendamment de l’offre et de la demande réelles. Et comme les prix de ces contrats servent de référence pour le cours réel du blé, les prix alimentaires en font les frais.
Le rôle néfaste des fonds de pension
Depuis le début du XXIe siècle, les investisseurs institutionnels comme les fonds de pension se sont engagés sur les marchés à terme de matières premières, qui sont vus comme une protection contre l’inflation. Les prix des contrats à terme sont [donc] dictés par les arbitrages de ces organismes en matière d’investissement, qui n’ont rien à voir avec les fondamentaux du marché.
Normalement, la nourriture est achetée en supposant qu’elle peut être revendue avec une marge. Plus il y a de nourriture, moins elle coûte cher et moins il y a de bénéfices à en tirer. Par conséquent, les prix alimentaires évoluent d’une année à l’autre, car les sécheresses et les inondations alternent avec les récoltes exceptionnelles dans les différentes régions du monde. En revanche, une spéculation excessive des investisseurs, qui voient l’alimentation comme n’importe quelle autre matière première, change la donne. L’offre et la demande ne sont plus les principaux arbitres des prix. Depuis une quinzaine d’années, ce phénomène a créé de fortes fluctuations alors même que les réserves mondiales sont stables.
Teucrium et Invesco, deux prédateurs financiers
Entre janvier et avril 2022, au moins 1,3 milliard de dollars a été versé dans deux fonds de contrats de marchandises, gérés par Teucrium et Invesco. En octobre 2021, le gestionnaire de Teucrium responsable du blé écrivait sur le site de l’entreprise : “Si l’inflation des prix alimentaires risque d’avoir des effets négatifs sur l’économie mondiale, les investisseurs éclairés pourraient tirer partie d’une tendance à la hausse des prix.”
Auteur d’un rapport sur les prix alimentaires paru au printemps 2022, le groupe de travail d’Olivier De Schutter (rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, et coprésident du Groupe international d’experts sur les systèmes alimentaires durables - Ipes-Food) a souligné que “les prédateurs financiers qui font des paris sur l’alimentation” et “jouent sur les prix de la nourriture” étaient des facteurs à l’origine de la flambée des prix.
En réponse, Teucrium s’est contenté de déclarer que “les flux d’investissement dans les matières premières permettent, à terme, un approvisionnement (alimentaire) plus fiable et un gain de stabilité sur la durée”. Invesco, lui, a souligné la violence des phénomènes météorologiques pour justifier les fluctuations des prix.
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Une grosse partie des exportations de céréales ukrainiennes sont désormais exportées depuis le port de Constanta, en Roumanie. — © REUTERS/Olimpiu Gheorghiu
BONUS (demander au Taulier les articles)
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Un colloque réunit cette semaine des négociants suisses, actifs en mer Noire, et des politiques ukrainiens, sur fond de crise alimentaire mondiale. Kiev cherche des solutions pour exporter, par rail, ses denrées agricoles
En pleine guerre, de nouvelles routes céréalières se forment à Genève ICI
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Comment exporter les millions de tonnes de céréales qui s’amoncellent en Ukraine et dont dépend la survie de millions de personnes? La communauté internationale s’active