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19 mai 2021 3 19 /05 /mai /2021 08:00

 

Je lâchai prise, coupai tous les ponts, mais sans fuir. Sonné, KO debout, je me laissai glisser, comme ça, sans réagir, doucement, les yeux grands ouverts. Ce fut une glissade un peu raide mais toujours contrôlée, bien maîtrisée. Je savais ce que je voulais, mourir, mais à petit feu. Mon but : aller au bout de mon chemin, sans contrarier la nature, en me contentant de survivre, de perdurer. Simple spectateur de ma vie. Emmuré dans le chagrin, mes yeux restaient secs. Pleurer c'était prendre le risque de fendre ma carapace, de m'exposer à la compassion. Pour tenir je devais faire bonne figure. Alors, j'allais et venais, affrontant l'intendance qui suit la mort avec le courage ordinaire de ceux qui assument les accidents de la vie. Mon masque de douleur muette, souriante même, me permettait de cacher, qu'à l'intérieur je n'étais plus que cendres. La mort rassemble. Autour de la grande table chez Jean, le soir, nous parlions. Nous parlions même d'elle. J'acceptais même de parler d'elle. Nous buvions aussi. Le vin délie les langues et allège le coeur. À aucun moment nous n’étions tristes. Marie, couchée dans le grand lit de Jean, nous imposait son silence éternel.

 

On prit mon emmurement serein pour du courage. Aux yeux des autres, mes proches, mes amis, ceux de Marie, ses parents, j'étais admirable. Non, j'étais déjà mort. Seul Jean pressentait mon délitement intérieur. Il bougonnait, tournait en rond, maudissait le ciel et me pistait comme un vieux chien fidèle. Les mots des autres filaient sur moi sans y laisser de traces, alors que les miens, précis, menaient leur dernier combat. On me laissait faire. Avec Jean, nous décidions de porter nous-mêmes Marie en terre au cimetière de Port-Joinville. Qu'elle restât sur notre île, sans fleurs ni couronnes, relevait pour nous de la pure évidence. Ça ne se discutait pas. Le maire obtempérait, et c'est dans notre C4, au petit matin, avec Achille coincé entre nous deux, que nous sommes allés jusqu'au trou béant. De la terre remuée et ce ciel pur, cette boîte en chêne vernis à poignées argentées, un moment j'aurais voulu qu'on chantât le Dies Irae. Des mains serrées, quelques pelletées, des baisers, des étreintes, des sanglots étouffés, encore des mots échangés et nous sommes allé au café. Là, j'aurais bien voulu pleurer.

 

Sur la dalle de ciment, avec Jean, nous avions fixé une petite plaque émaillée - c'est un de nos amis, potier, qui nous l'avait confectionné - où j'avais écrit Marie fleur de mai. Quand ils étaient tous repartis, au bateau du soir, même le regard implorant de maman n'avait pu ébranler ma détermination. Ma survie en dépendait. Je voulais vivre dans ma plaie ouverte. Jamais elle ne devait cicatriser. Ne croyez pas que c'était pour me complaire dans le malheur. Je n'étais pas malheureux. Je n'étais plus rien. Reprendre le cours d'une vraie vie sans Marie était au-dessus de mes forces. Me restait à vivre une vie de merde, y patauger, m'y souiller, m'y perdre pour que l'oubli, ce grand laminoir impitoyable, ne puisse jamais m'atteindre et m'essorer de ma vie d'avec Marie. Avant de partir je suis allé sur la lande cueillir une brassée de fleurs. Jean m'attendait devant le portail du cimetière avec un grand vase rouge. Nous avons offert à Marie ce bouquet puis nous sommes descendus nous bourrer la gueule au port. Les marins piquaient le nez dans leurs verres. C'était l'un des leurs qui avait écrasé Marie.

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commentaires

P
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,<br /> Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,<br /> Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe<br /> Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
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