Viens d’acheter le dernier Didier Daeninckx : Le Roman de l’Histoire, 77 nouvelles qui retracent, par la fiction documentée, les soubresauts d’un siècle et demi d’histoire contemporaine française. Elles sont classées dans l’ordre chronologique.
L’avantage des nouvelles c’est qu’il possible de les lire sans tenir compte de cet ordre.
Je feuilletai donc le gros bouquin 811 pages pour tomber nez à nez sur La piquette de l’oncle Jean page 504. (Ne pas confondre avec l’erreur 503).
« Tonton Jean était le frère de mon grand-père qui se prénommait également Jean mais se faisait appeler Rémi. »
« Adulte, j’ai fini par avoir l’explication de ce redoublement : l’arrière-grand-père, un Camelot du Roi abonné à L’Action française, avait arrosé par avance la naissance du petit dernier et ne s’était pas souvenu, à la mairie, que le précédent avait déjà hérité de ce prénom d’apôtre. Jean et Jean dit Rémi se ressemblaient comme deux gouttes de piquette, aussi taciturnes et bourrus l’un que l’autre. »
Le narrateur avoue n’avoir bu une goutte de vin avant seize ou dix-sept ans, et « c’est la piquette du grand-père qui a servi d’initiation. Autour de la table, on ne la comparait à aucun autre breuvage qu’à elle-même. »
« … on buvait les cépages interdits comme le Noah ou l’Othello dont les ceps étaient planqués au milieu des racines légales… »
Et puis y’avait aussi la piquette de l’oncle Jean :
« peu de temps après, j’ai tendu mon verre quand l’oncle Jean a débouché une des bouteilles de son cru, alors que la tante Henriette, une titi qui parlait comme Arletty, y allait de sa boîte de biscuits Brossard. Dès que le liquide a touché mes gencives, j’ai eu l’impression que mes dents ne se remettraient jamais du bain d’acide. Je me suis jeté sur un gâteau pour rétablir un peu de calme dans ma cavité buccale. Puis j’ai fait comme les autres, j’ai aspiré quelques millilitres de mixture entre mes lèvres jusqu’à pouvoir lire le mot « pyrex » en relief au fond du verre.
Quand on est repartis de Font-Robin, l’estomac noué, je me suis approché de mon grand-père, Jean dit Rémi :
- Je ne comprends pas. Ton vin est bien meilleur, pourtant ce sont les mêmes vignes…
Il m’a ébouriffé les cheveux.
- Oui, tu t’en es aperçu… Je lui ai dit cent fois, mais il ne veut rien entendre… Quand il prépare ses barriques, il met trop de soufre… Et ça passe dans le vin, obligatoirement. C’est comme ça, qu’estce que tu veux. Ton oncle Jean, il soufre trop.
1 décembre 2012
La mèche de soufre dans nos futailles est-elle sauvée des rets de la Commission Européenne ? ICI