Suis comme vous un bocain né en juillet 1948, un rejeton du baby-boom. Lors de ses vœux pour l’année 1945, le général de Gaulle, chef du gouvernement, avait appelé de ses vœux la naissance, dans les dix ans à venir, de « 12 millions de beaux bébés. », j’étais l’un d’eux, le petit dernier de la famille de trois enfants.
Ma mère était, comme la vôtre, couturière. J’ai vécu ma prime jeunesse au milieu des coupons de tissu, des patrons en papier soie et du fil à faufiler, elle m’a transmis le virus des belles étoffes et le sens de l’appariement. C’était une courageuse qui veillait tard.
Comme la vôtre elle espérait que je prenne la soutane.
En ce temps-là, en Vendée, le joug du clergé passait par les femmes.
J’ai été élevé dans les jupons des femmes, ce petit clan soucieux que je grandisse en âge et en sagesse.
À la maison, vêtues de noir, encadrant maman, ma grand-mère maternelle Marie, dite mémé Marie, épouse du pépé Louis, moustache à la Foch, amoureux de ses grands bœufs blancs tachés de roux, 7 ans sous les drapeaux, service militaire et 14-18 à la file, et sa sœur, la tante Valentine, qui se prénommait officiellement Eugénie, veuve de guerre après un bref mariage, gardienne de l’heure où l’on devait se rendre à la grand-messe du dimanche.
En ce temps-là, dans les métairies du bocage, encore en métayage chez les grands propriétaires fonciers, les maîtres, la cohabitation de plusieurs générations sous le même toit était la règle. Chez nous, même s’il régnait au sein du clan une concurrence feutrée, faites de silences désapprobateurs, de respect de règles rigides, pour exercer le leadership sur mon élevage, les choses étaient claires : c’était maman, sous le regard bienveillant de papa, qui dirigeait la manœuvre. Dire que je ne profitais pas de cette situation serait mentir.
Pour parfaire mon image de sainte nitouche, à qui on pouvait donner le bon Dieu sans confession, un jour j’ai déclaré à maman que je voulais être enfant de chœur ; elle en fut bien sûr ravie vu ses visées cléricales et plaida ma cause auprès du curé-doyen qui m’enrôla.
Mes motivations n’avaient rien de très catholiques, je les cite en vrac : le service des mariages et des enterrements permettait de sécher une matinée d’école ; nous nous partagions les quêtes de sacristie suite aux mariages et aux baptêmes ; nous nous baladions dans les rues, croix en tête pour les sépultures, la Fête-Dieu avec ses chemins de pétales de rose, et nous allions même dans les champs pour la fête des Rogations – les rogations, prières publiques et solennelles dont le but est d’attirer les bénédictions de Dieu sur les biens de la terre, célébrées les lundi, mardi et mercredi qui précèdent le jeudi de l’Ascension. Je n’ai jamais accompagné le curé pour porter l’extrême-onction.
Aller servir la messe, au petit matin, avant que le jour ne se lève me donnait le frisson lorsque je traversais la peupleraie dont les grands futs ressemblaient à une armée de l’ombre. Je détestais les Vêpres. Le jeudi Saint le curé nous lavait les pieds. J’adorais l’odeur de l’encens et le crépitement de la crécelle qui remplaçait la cloche pendant le carême. Tenir le petit plateau doré sous le menton des jeunes femmes du bourg lorsqu’elles communiaient alimentait mes « mauvaises pensées » que le curé me demandait d’avouer lors de la confession, ce que je refusais. « De quoi je me mêle ! » Je n’ai jamais sifflé du vin de messe. Servir la messe était un jeu, les burettes, le latin de cuisine, les génuflexions, la distribution du pain béni, la quête, le surplis empesé sur la soutane rouge ou noire, le rêve pendant le prêche du curé, l’ostensoir, le ciboire, le calice, les lourds ornements du curé, l’aube, l’étole, la chasuble, la chape, changeant de couleur en fonction du calendrier liturgique, les cloches carillonnées des baptêmes et des mariages, lugubres pour les enterrements…
Je n’ai jamais cru en Dieu, ni en la Vierge Marie, et encore moins au drôle de Saint-Esprit, seul Jésus, le rebelle, me donnait à réfléchir. Sous ma bouille d’angelot se cachait un païen. Je donnais le change pour avoir la paix.
Et pourtant rien ne nous était épargné pour faire de nous des curés ; chaque année passait à l’école un envoyé spécial de l’évêque chargé d’éveiller nos vocations, les hommes le surnommaient « le grand inséminateur ». À la fin de sa réclame il nous demandait d’écrire sur un petit papier ce nous voudrions faire plus tard. Un jour, je ne sais quelle mouche m’a piqué, sans doute la curiosité, j’ai répondu : prêtre.
Que n’avais-je fait là !
Me voilà embarqué dans une vis sans fin, des courriers de relance, puis, un jour, la proposition d’aller faire une retraite au Grand Séminaire de Luçon. J’ai dit oui. Lorsque je me suis retrouvé, le premier soir, là-bas, loin de chez moi, dans une immense chambre haute de plafond, j’ai pleuré toutes larmes de mon corps. Un jeune abbé est venu me consoler et, même si mon petit corps d’angelot semblait lui plaire, il ne toucha pas ma bistouquette.
Rentré au bercail je me rendis au fond du jardin pour brûler la masse de propagande du « grand inséminateur ». Le clan des femmes s’en étonna, mon père, pourtant avare de ses paroles, leur balança « foutez-lui la paix ! »
Maman en fut marrie. Jamais je ne lui ai avoué que la raison profonde de mon refus se nichait dans la petite culotte des filles.
En vous lisant je me disais : « Je l’ai échappé belle… »
Votre « grand cheval » dont j’avais oublié le nom et le prénom, Eugène Arnaud, est bien celui qui a cherché à m’enrôler, qui m’a harcelé et à qui j’ai échappé. Nous nous rejoignons quand vous écrivez « si le sobriquet s’est transmis à travers les générations de séminaristes c’est qu’il allait une casaque à ce fameux étalon, le plus grand inséminateur de vocations artificielles. »
Il était le bras armé de la reconquête décrétée par Mgr Antoine-Marie Cazaux évêque de Luçon.
Deux détails, il m’a confirmé en l’église Saint Jacques le majeur de la Mothe-Achard et j’ai le souvenir des sacs de blé donnés par les paysans chaque année pour l’œuvre des séminaires.
C’est lui qui décide de faire de 1959 « l’année su sacerdoce et des vocations »
Dans sa lettre pastorale titrée « L’Église a besoin de prêtres » 8 pages pour appeler au renforcement du « corps franc des consacrés à Dieu : Si tous le chrétiens de Vendée étaient pénétrés de cette pensée de l’Église, si tous obéissaient docilement et activement à ces impulsions de l’Église, bien plus large et bien plus efficace serait la réponse de notre diocèse à l’appel de Dieu et des hommes qui demandent des prêtres… l’Église a besoin de prêtres, à vous de lui en donner. »
Langage de combat, relayé par les prédicateurs venus en chaire, en mission, celles-ci étant souvent marquées par l’érection de calvaires, il s’agit d’étendre l’œuvre civilisatrice de la religion catholique, de lutter sur tous les continents contre « les dangers mortels menaçant l’Église : « l’invasion des sectes protestantes, la sécularisation de toute la vie, un marxisme agressif, un spiritisme inquiétant… un islam qui répond sans effrayer par les exigences que présente la doctrine du Christ… un athéisme dont la contagion est d’autant plus redoutable qu’elle coïncide avec un progrès matériel qui porte l’homme à s’imaginer qu’il peut se passer de Dieu. »
Si j’ai été sauvé des rets du grand inséminateur c’est que ma mère m’aimait pour de vrai, elle n’était pas bigote, et que mon père, plutôt libre penseur, pratiquait pour lui faire plaisir. Il marquait sa distance en allant à la messe, sur une chaise, sous le clocher, tout au fond où, souvent, il en profitait pour s’offrir un petit roupillon. De plus, ni le curé-doyen, ni les fameux frères de Saint Gabriel qui tenait l’école primaire n’ont exercé une quelconque pression sur moi. D’ailleurs, aucun de mes camarades de classe de l’école sainte Marie n’est entré au séminaire.
La pression à la Mothe-Achard tenait plus de la perpétuation de vieilles histoires, on ne se regardait pas en chien de faïence, chacun était dans son rôle, les laïcs minoritaires se tenaient à carreaux et les culs bénis ne pratiquaient aucun prosélytisme. Je dois à mon appartenance à ceux qui allaient à la messe d’avoir pratiqué le basket à la Vaillante Mothaise, le patro mais mes copains d’enfance les Remaud, dont la mère était la plus grande amie de la mienne, jouaient au foot, au FCM tenu par ceux d’en face.
Je dois avouer mon extrême plaisir de 68 hard d’avoir vu les séminaires de Vendée se vider comme des outres à la suite du mouvement. Enfin, toute cette séquence m’a vacciné contre le danger des Églises, de leur clergé, de leur soumission, ce qui m’a évité l’enrôlement par le Parti Communiste.
Votre livre, cher Jean-Pierre Sautreau, m’a touché, ému, elle est une œuvre salutaire qui, au-delà de votre douloureux parcours personnel, témoigne de ce qu’a été cette Vendée sous le joug des maîtres et du clergé.
Comme vous l’écrivez pages 163-165 ce sont « les conditions familiale et sociale difficiles qui font souvent basculer les familles paysannes qui fournissent du coup pratiquement les deux tiers du bataillon des nouvelles recrues.
Beaucoup d’entre elles, particulièrement dans le bocage, en plus de n’être pas insensibles à la notoriété pouvant rejaillir de l’illumination de l’un des leurs, surtout vis-à-vis de leurs bailleurs, notre maître, conviennent facilement de caser un enfant ou deux au Séminaire peut contribuer à résoudre l’excès de bras sur une exploitation de trop peu d’hectares. Et puis ainsi ces pauvres castrés ne feront pas de vieux gars. Combien de cadets (les aînés étant destinés à recevoir et poursuivre l’exploitation) vont être ainsi les victimes, avant que l’industrialisation ne les sauve plus tard, d’une telle rouerie des faiseurs de vocation ? »
Les maîtres, chez moi, les de la Bassetière régnaient sur toutes les métairies de la Mothe-Achard et de Saint Julien des Landes. Mon père Arsène, entrepreneur de battages, était leur obligé, souvenir du maître derrière la bascule pour tarer les sacs du métayage et des tournées avec lui dans les fermes du docteur Louineau où les gamins pliaient le genou devant le maître.
« Comment comprendre que les familles arrivent ainsi à admettre que leur intérêt rejoint là celui de l’Église, au point de sacrifier un enfant par calcul ? Les curés sont encore les rois au pays des insurgés de 1793, des descendants de l’armée contre-révolutionnaire catholique et royale. Quelques années plus tôt, ils ont, sans difficulté, fait se dresser les faux contre la Loi de séparation. Ils continuent de s’opposer viscéralement à l’implantation des écoles publiques. Ils menacent du haut de leur chaire d’excommunier tous ceux qui seraient tentés d’y inscrire leurs drôles. Ils ont l’appui des possesseurs et des entrepreneurs qui apprécient la force fédératrice de la religion dans les bourgs, son pouvoir émollient et conciliateur sur les esprits et donc garantie la paix sociale. Au besoin, ils savent aussi se montrer diablement malins. Ainsi pour lever une ultime hésitation des parents ils en viennent à dépeindre l’incroyable bénéfice que le fils va aussi retirer de ce troc. Leur magnifique abnégation et leur indéniable clarté de vue va lui permettre d’accéder à un cursus d’études à priori inespéré et décrocher une situation plus qu’enviable, glorieuse, qui honorera toute leur maison. Et puis, quoi de plus naturel, quand on a la foi enracinée et têtue et qu’on reçoit chaque naissance comme un don du ciel, de rendre, à ce Dieu qui bénit ainsi son toit, un fruit, en quelque sorte lui appartenant. »
Maquignonnage dites-vous, je souscris à 100%
Ce fardeau reste toujours présent dans la Vendée moderne, ma famille est montée en force, en 1984, sans me le dire, j’étais membre du cabinet de Michel Rocard, manifester pour l’enseignement libre. Vilain petit canard noir qui a rompu avec eux. Cet inconscient collectif a aussi donné Philippe de Villiers, son radio Alouette, son Puy de Fou, cet homme est un concentré des scories de ce temps que vous avez vécu.
Photo OUEST-FRANCE
Je ne vais aller au-delà, cher Jean-Pierre Sautreau, ils vous ont brisé, bousillé une grande part de votre vie, vous en voulez à cette Église qui a mangé votre mère avant de tenter de vous dévorer. Comme je vous comprends et je mesure toute la chance que j’ai eu d’avoir des parents aimants, avant tout soucieux de me laisser le choix de mon avenir.
Merci pour ce livre bien écrit, bien construit, vivant, poignant, mes chers lecteurs je vous encourage à le lire.
LIRE 4 septembre 2018
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