Le tramway arrivait à son terminus. Ils descendirent en donnant l’impression aux autres voyageurs qu’ils étaient familiers du lieu. Pourtant, juchée sur ses hauts talons, avec ses vêtements luxueux, Jeanne jurait au milieu de ce petit monde gris, mal fagoté, dont la tristesse suintait par tous les pores de la peau de cette cohorte de mal-nourris. Benoît devait vite trouver un téléphone pour joindre Sacha à son bureau. Tout son plan reposait sur ses épaules. La cité, avec ses barres parallèles, ressemblait à un alignement de sinistres clapiers bordés d’arbres rachitiques poussant sur des plaques d’herbe rare. Plus rare encore, les cabines téléphoniques, Benoît commençait à s’inquiéter. Jeanne accrochée à son bras le suivait sans piper mot. Sur une portion de terre battue des gamins frappaient dans un ballon de cuir dégonflé. « Vous parlez bien l’allemand je suppose ? » Jeanne lui répondait que oui. « Et vous avez des dollars... » Son bien sûr indiquait qu’elle devait en posséder un beau paquet. Benoît l’entrainait vers l’aire de jeu. Le plus petit des gamins, un rouquin, qui faisait office de gardien de but entre deux poubelles, les regardait s’approcher avec un regard où se mêlait crainte et intérêt. Benoît briffait Jeanne « Vous allez lui proposer de l’argent pour qu’il s’achète un nouveau ballon en échange d’un petit service... Nous conduire chez un médecin. » Jeanne marmonnait étonnée « Qu’allons-nous aller faire chez un médecin ? » Benoît raillait « Voir si vous êtes enceinte des œuvres de votre beau Wladimir ! » Avant qu’elle ne se fâche vraiment il ajouta « nous allons téléphoner à mon ami Sacha. »
Dans l’intervalle qui leur restait encore à franchir pour rejoindre le gamin aux taches de son Jeanne trouvait le temps de s’inquiéter. « Mais ils vont nous dénoncer » Benoît la rassurait « Pourquoi diable nous dénonceraient-ils ? Les gamins vont s’acheter un beau ballon et notre toubib empocher de quoi améliorer sérieusement l’ordinaire. Vous savez, ici, le patriotisme claironné par la propagande de leur bel Etat démocratique ne résiste pas aux beaux billets verts. Ils ont faim...» Les mains dans les poches le rouquin toisait Jeanne comme un petit coq. Les autres cessaient de jouer. Jeanne, dans un allemand rapide, exposait la transaction. Le petit mec tendait la main. Jeanne ouvrait son sac et sortait un billet de 20 dollars d’un beau portefeuille en cuir gold. Les yeux du rouquin s’écarquillaient. Benoît retenait la main de Jeanne. « Il nous conduit d’abord. Le paiement en port du » Jeanne traduisait. Le gamin lui empoignait la main et la tirait vivement. Elle se tordait les pieds mais le gamin accélérait. Après avoir contourné un long bâtiment de briques ils débouchèrent sur une petite place entourée de pavillons assez coquets. « Dites-lui que nous doublons la mise s’il nous attend. » Jeanne transmettait. Le gamin souriait dévoilant une denture chaotique. Ils étaient devant un portillon donnant sur un jardinet. Le gamin sonnait. Une vieille femme en blouse noire entrouvrait la porte. Le gamin s’expliquait. Au fur et à mesure de ses explications les yeux de la bonne femme s’écarquillaient. Avant même qu’il en eut fini elle ouvrait brusquement la porte et leur faisait signe d’entrer. Le rouquin restait dehors. Le hall empestait le désinfectant. Jeanne profitait d’un miroir pour remettre de l’ordre dans sa coiffure. La vieille les introduisait dans un salon dont les fauteuils étaient recouverts de housses. En dépit de son invitation à s’asseoir ils restaient debout. « Dis-lui qu’elle nous mène de suite chez le toubib ! » Jeanne n’eut pas le temps de traduire, la bonne femme répliquait « J’ai compris, suivez-moi... »