En l’absence de notice biographique sur le peintre à ses heures, Olivier de Moor, j’ai décidé de vous parler d’un autre bas-bourguignon qui a passé une grande partie de sa vie en Vendée, à Boulogne d’abord puis à Sainte-Florence de l'Oie, à Vix enfin. L’Hippobosque du bocage.
Hormis cette proximité géographique, ce qui relie Olivier à Gaston c’est que comme lui il n'a jamais bénéficié d'enseignement d'histoire de l'art, ni suivi aucun cours de peinture. Olivier me confie « C'est un manque de moyen, une erreur sans doute, une frustration mais en même temps cela me permet d'avoir une liberté totale et assumée de mes goûts. »
Je garde pour une prochaine chronique qui flirtera avec il n’y a pas que le vin dans la vie, les maîtres connus ou méconnus qu'Olivier apprécie, admire, qui l'inspirent « Alors oui la peinture pour se changer les idées. Ça fait longtemps depuis que je suis gamin que je m'y attache comme une ouverture sur autre chose. A vrai dire une soupape. »
Rappelant volontiers qu’il est avallonais à quiconque le qualifie de vendéen, Gaston Chaissac écrivait « Je suis d’Avallon, comme cousin d’Avallon, mon maître en compilation »
Dans son livre, publié dans la collection blanche de Gallimard, il nous taillait un costard.
« En Vendée on a un faible très marqué pour ce qui est inauthentique et le Vendéen n’est d’ailleurs jamais un novateur mais toujours un suiveur. »
Mais il écrivait aussi :
« Tu parles des bocains, c’est quand ils quittent l’école qu’ils sont le plus amusants et le plus sympathiques l’hiver car les chemins si boueux du bocage exigent qu’ils soient guêtrés comme les hommes et cela en fait de vrais chats bottés nom sous lequel on les désigne. Et à ce sujet je vais te parler d’une chose que j’ai vue : quand les paysans vont avec leurs charrettes à bœufs cherché des fagots ils ont coutume d’y aller avec plusieurs charrettes de sorte que ça fait un défilé de charrettes pleines de fagots. Et bien pour un de ces défilés-là que j’ai vu, la première charrette était conduite par un homme et la suivante avait comme conduction un de ces chats botté en question et il était si petit que pour sûr qu’il n’en existait pas de plus de petit guêtré comme leur père et stupéfaction, le conducteur de la charrette suivante était un enfant encore plus jeune et plus petit et qui était vraisemblablement le frère de l’autre par conséquent d’au moins 10 ou 12 mois de moins et guêtré pareillement lui aussi, preuve qu’il avait quitté l’école. D’en voir un seul c’est déjà amusant mais une paire c’est bien autre chose. »
Lettre de Gaston Chaissac à Jean Dubuffet août 1947 in Hippobosque au bocage Gallimard
Gaston Chaissac est en effet natif de la basse Bourgogne, dans le chef-lieu d’arrondissement de l’Yonne qui en est le centre géographique. Le 13 août 1910 « à la veille du grand concours agricole et tandis que la comète servait de pièce d’attraction » dire-t-il, au premier étage du numéro 1 rue de Paris. Ses souvenirs remontent au tout début : « J’ai été baptisé en l’ancienne collégiale d’Avallon. » Dernier-né d’une famille de quatre enfants, il est choyé par sa mère qui représente tout pour lui. Élevé en liberté, l’enfant est fréquemment dans le potager familial qu’il appelait « le jardin de Morlande ». Il se souviendra toute sa vie de ce jardin en terrasse, avec un poulailler à un étage et une mare : « Il aurait aimé vivre dans une petite maison haute, dans les bois, une tour semblable au poulailler de son enfance. »
Gaston Chaissac a une douzaine d’années quand sa mère divorce : « Il en fut presque heureux.»
Ensuite, apprentissage… d’abord comme marmiton à l’hôtel du Chapeau-Rouge… puis dans la quincaillerie, bourrellerie… « Il n’avait pas une grosse santé, déclare son ami Pierre Renou, et autrefois, cordonnier, c’était un peu la fonction qu’on donnait à ces gens qu’étaient pas trop solides, en campagne, eh bien ils étaient cordonniers ! On n’a pas à marcher, à trop se fatiguer ! »
Dans sa lettre du 4 décembre 1946 à Jean Dubuffet : « Lorsqu’à quinze ans j’étais apprenti bourrelier, j’aimais beaucoup carder le crin parce que la poussière se fixait épaisse dans mon duvet et ça me faisait une moustache dont j’étais fier et qui m’embellissait à mes yeux. J’ai également toujours trouvé beaux les tas d’ordures. »
Chaissac se trouva mêlé à l’aventure de l’art brut. « Je baptisais mes bonhommes tout bonnement de peinture rustique moderne, expliquera-t-il au début des années 60. Plus avisé Dubuffet parla d’art brut, le mot fit fortune et je restai chocolat. »
« Mon mode d’expression en peinture, qui n’a rien à voir avec quelque chose d’épuré, de correct, est assez comparable à un dialecte et même au patois avec lequel on peut s’exprimer et qui peut même être particulièrement savoureux. Parmi ceux qui le goûtent il y a certes des bouseux sensibles à mon art et des gens d’un savoir infiniment plus étendu à qui il reste fermé. Moi-même je me suis assez analysé pour savoir que je ne suis pas autre chose qu’un bouseux. Il m’arrive même de dire très sincèrement à des campagnards : « de nous deux c’est moi le bouseux. » Il y a d’ailleurs dans mes dessins du temps où j’en savais encore moins qu’aujourd’hui des choses parfaitement valables. Certains ont même dit avec conviction que l’ignorance ne s’apprend pas. »
« Mes sculptures naturelles en bois viennent de s’augmenter d’une nouvelle unité qui est cette fois une personne qui baisse la tête et que j’ai bien envie de baptiser : le Parlementaire vu qu’elle a le bras très long qui est d’ailleurs en bois plus vulgaire et plus corruptible et qui commence même de se désagréger, tomber en poussière. »
« En littérature et arts je pense que c’est surtout les à peine dégrossis qu’il faut encourager et pousser à ça car nous les du peuple n’avons que trop tendance à classer l’académisme parmi nos préférences. »
À Jean Dubuffet le 4 décembre 1946 :
« Si votre peinture est si mauvaise qu’on dit je ne saisis pas pourquoi on en parle. Mais on ne parle jamais des mauvais tableaux et lorsque l’on dit que des tableaux sont mauvais ça veut plutôt dire qu’ils sont bons. En critique d’art c’est le silence qui doit traduire par mauvais. Alors je suis bien content que vous m’ayez dit du mauvais de mes tableaux. »
Quelques tableaux d'Olivier de Moor.