Leurs nouveaux camarades manifestaient dans les quartiers bourgeois : la Frei Universität, avec son grand amphi l’Audimax, où se tenaient toutes les AG, était située dans le Neuilly berlinois à Dahlem. La haute société berlinoise goûtait à demi la rhétorique très moralisante de ces étudiants chevelus. Il faut dire que c’était vraiment du grand théâtre et Sacha se révélait un as de la mise en scène sur le Kurfürstendamm : une belle avenue chic bordée de magasins opulents, de théâtres et de cafés aux baies vitrées où les mémères à caniche, les vieux beaux, des veuves poudrées, des gigolos en veste cintrée et col pelle à tarte et des poules de luxe en manteaux de loup se retrouvaient pour tromper l’ennui. Le café Krantzer était le QG préféré des chefs étudiants car le bureau du Sozialistischer Deutscher Studentenbund (SDS), le mouvement des étudiants socialistes était à quelques encablures de là. Très vite Chloé allait devenir l’égérie de la frange libertaire du mouvement : la Kommune I spécialisée dans la provocation extrême. Celle-ci louait un vaste appartement dans une rue avoisinante pour expérimenter une communauté prônant l’amour libre mais les frelons allemands se révélaient eux aussi, comme leurs homologues de la GP, totalement coincé du calcif : Chloé raconta à Benoît qu’elle passait son temps à éplucher des légumes à la cuisine avec les autres nanas pendant que les mecs se torturaient les méninges pour inventer des trucs pour choquer le bourgeois. Leur coup de maître fut une photo où sept d’entre eux posaient nus, les mains en l’air, les fesses tournées vers les caméras, comme pour une fouille de police. Pour corser la provoc un bambin blond se tenait à leurs côtés.
L’ambiance au Centre de la Paix, du fait de son recrutement international, se révélait bien plus propice à des copulations effrénées et à des enlacements féminins languissants. Curieusement, seule l’homosexualité masculine ne s’affichait pas ouvertement. Sacha entretenait avec les femmes des rapports brefs et utilitaires que nul ne songeait à interrompre lorsqu’un ruban rouge était accroché à la porte du grenier. Chloé charriait Benoît sur son abstinence face au nombre indécent de beautés qui se baladaient nues dans le squat. La plus assidue à le provoquer était bien sûr Karen, la blonde évaporée, compagne de chambre de Judith la grande hommasse. Peter le Viking lui ressassait que ces foutues gouines, avec leurs robes en grosse toile, leurs godillots militaires, leurs cheveux tirés en chignon, étaient des causes perdues avec lesquelles il ne devait pas perdre mon temps. Elles avaient apposées sur la porte de leur chambre un panneau « Allez-vous faire foutre ! ». Sacha ironisait sur le fait qu’elles passaient leur temps à lire des livres de droit. Et pourtant Karen, gracile et éthérée, ne se privait pas, à chaque fois que Judith s’absentait, de venir exhiber sous le nez de Benoît son opulente poitrine. Très vite elle avait sollicité de lui qu’elle lui apprenne le français au motif que sa compagne était une allemande du Nord qui cachait un feu intense sous son enveloppe de glace. Dès qu’il le sentait fondre face à ces minauderies Sacha lui ordonnait « Oublie-là ! Elle fait partie de ces filles de bonnes familles, toujours reçues dans les meilleurs salons radicaux de Berlin, dont la sexualité frise le zéro absolu. »