Benoît avait besoin de changer d’air, de ranger ses belles fringues, de se replonger dans les spasmes de la Gauche Prolétarienne. Pour ce faire il adopta les 3x8 : 5h-13h dodo, 13h-21h cabinet et mondanités, 21h-5h un mix réunions enfumées de la GP et son travail de nègre. Tout ça avec Armand en porte-flingue. Tous deux dormaient peu, Chloé leur fournissait les substances ad hoc pour gérer leur suractivité. Son besoin de revenir me mêler à la mouvance activiste prenait sa source dans les évènements violents qui ponctuèrent l’année 1970. « Du 15 avril 1970 à la fin mai, il y eu 82 attentats avec explosifs assurait le Ministère de l’Intérieur. » Avant que la loi-anticasseurs fut adoptée le 8 juin 1970, et même après, tout l’arsenal terroriste fut développé par les groupuscules gauchistes : incendies au cocktail Molotov, bombes artisanales, cassages de gueule, bastonnades, manifestations violentes, séquestrations de patrons. Bien évidemment tout ne venait pas du même camp, le SAC de Charles Pasqua et du père Foccart jetait de l’huile sur le feu : ainsi, au Palais de Justice de Besançon, les braves pandores eurent la surprise de mettre la main sur des militants du très vertueux Service d’Action Civique qui leur déclarèrent pour se justifier « Qu’ils avaient agi ainsi pour protester contre le terrorisme gauchiste. » Le PCF et la CGT fournissaient des listes de Mao à la police. Cependant notre terrorisme à la française restait « bien tempéré » à côté de ce qui se passait en Italie où, le 12 décembre 1969, la bombe déposée Piazza Fontana, officiellement par les futurs brigadistes, avait fait 16 morts et 87 blessés. En fait, c’était le début de la « Stratégie de la Tension » développée par les mouvances d’extrême-droite de l’Armée et des Services Secrets de la République Italienne. Chloé lui avait dressé un tableau effrayant de la situation.
En France, le très sérieux Commissariat au Plan, sous la houlette d’un obscur Ingénieur des Mines : René Montjoie, avait pondu un document prospectif exposant divers scénarios visant « à en finir avec le gauchisme avant la fin de l’année 1970 ». Les experts s’étaient débridés en jetant sur le papier « des sabotages en usine commis par des militants maos ou assimilés, le crash d’un avion qui leur serait attribué – les palestiniens innoveront en ce domaine avec un art consommé du chantage – des batailles rangées dans les facultés à risques faisant une vingtaine de morts , dont deux membres du service d’ordre… » Tout ça pour faire monter la pression dans l’opinion publique, justifier une répression ferme mais « limitée » et faire apparaître le gouvernement comme seul garant de la sécurité et de l’ordre à la vieille des élections municipales des 14 et 21 mars 1971.
Le point de focalisation de l’agitation se situait dans le bastion CGT de l’Ile Seguin à Billancourt. À l’intérieur des ateliers, comme aux portes de l’usine l’affrontement des Maos et des Cégétistes était permanent. Bien sûr, la direction, Pierre Dreyfus en l’occurrence, un social-traître qui sera le Ministre de l’Industrie de Pierre Mauroy en 1981, ne bronchait pas. Elle laissait faire. Cependant, en février 70, l’étincelle qui allait mettre vraiment le feu aux poudres viendrait, non de la Régie, mais de la fac de Nanterre. Des gauchistes, maos, anars, trotskards, « la bande à Jospin », y avaient agressés de « braves » étudiants communistes et les avaient séquestrés dans un amphi. Sur ordre de la direction du PCF, Pierre Bernardini, un ancien de la CGT Renault, rassemblait une dizaine de militants devant les douches de Nanterre. À leur arrivée la volaille gauchiste s’égaillait. Les étudiants cocos étaient donc libérés et tout ce petit monde repart en ordre dispersé. Erreur funeste car les gauchos n’avaient fait qu’un repli tactique pour mieux revenir à la charge sur le parking de l’Université. Avant qu’ils ne passent à la charge une salve de bombes artisanales : des poches pleines de poudre, de tessons de verre et de grenaille, tombait sur les cocos. Attaque à la barre de fer, l’Austin des amis de Bernardini – un comble pour des communistes défenseurs de l’industrie nationale – fut totalement défoncé. Ils réussissaient quand même à s’échapper. Bernardini se retrouvait seul, mains nues, face à la meute. Les coups pleuvaient. « Crève salope ! ». Bilan médical : double fracture du crâne et dix jours de coma. Commentaire désabusé du dit Bernardini à propos de ses agresseurs, lorsque Jospin sera 1er Ministre de Chirac « il y en a aujourd’hui qui se pavanent dans les Ministères… »