Gustave débandait, bras ballants, résigné, il chouinait : « Putain de merde t’as vraiment juré de me casser tous mes coups… », le coup en question rectifiait avec dignité sa position tout en cherchant du regard sa petite culotte alors que Gustave dubitatif contemplait l’étendue du désastre qui remettait en cause sa virilité. Benoît raillait « Dis donc mon Gustave t’es une bête de sexe. Infatigable l’enflure toujours sur la brèche, si je puis m’exprimer ainsi chère madame, allons Gustave tu manques à tous tes devoirs de gentleman, présente-moi à ta charmante partenaire…
- T’es naze mec, c’te pouffiasse j’la connais même pas.
- Alors présente-moi ça permettra à madame d’élargir le cercle de ses relations.
- Tu fais chier chais même pas qui tu es…
Sensible aux lazzis de Benoît la dame retrouvait de sa superbe, elle lui tendait une main aux ongles finement manucurés « Aline de Lescure » qu’il effleurait d’un baiser avant de lui lancer, bravache, « Léon Béria, de la police politique du Président Pompe… »
- C’est quoi cette nouvelle engeance ?
- Mon bon plaisir Gustave, tu devrais remonter tes brailles sinon madame de Lescure va te prendre pour son garde-chasse…
- Ta grande sauterelle t’a bourré le pif de poudre mon gars. Arrête ton char sinon…
- Sinon tu vas me dénoncer Gustave la balance…
- Faut pas l’écouter madame il n’est pas dans son état normal…
- Même s’il me prend pour une pauvre conne ce jeune homme me semble très pertinent. Soyez sans crainte gros tas de merde vos affaires tordues j’en ai rien à foutre…
- Tu faisais moins la fière tout à l’heure pouffiasse…
- Allons Gustave c’est à une dame que tu causes…
- Je préfère les putes…
- Pour toi toutes les femmes mariées sont des putes Gustave. Je compatis chère madame, vous devez vraiment souffrir pour en arriver à vous faire mettre par cette raclure…
- Je ne te permets pas…
- Mais si Gustave, tu permets tout pour toi ce n’est qu’une question de prix…
- Ce n’était qu’une expérience, j’ai toujours eu le phantasme du camionneur…
- Sans vouloir être mufle, chère Aline, si vous me permettez cette familiarité…
- Après ce que vous venez de voir vous êtes sans pitié avec moi jeune homme…
- Dans votre cas c’est une bonne thérapie mais là n’est pas le problème. Comme je m’apprêtais à vous le dire, assimiler Gustave à un camionneur c’est faire insulte à une corporation, certes un peu brut de décoffrage, qu’aime bien les fachos, mais qui a reçu ses lettres de noblesse depuis le Salaire de la peur…
Gustave atterré perdait pied. Aline, qui venait de récupérer sa petite culotte que Gustave avait délicatement posée sur l’abondante chevelure d’un Beethoven en buste qui trônait sur le manteau de la cheminée, lâchait elle aussi prise. Mon verbiage fumeux lassait, moi le premier.
Pendant qu’Aline de Lescure se repoudrait le nez et se redessinait les lèvres, Gustave, avachi dans un fauteuil crapaud, observait Benoît d’un œil mauvais en ruminant sa contre-attaque. L’intrusion brutale dans le beau nid douillet que lui offraient ses thuriféraires des hautes sphères de la GP risquait de fiche en l’air tout le bénéfice qu’il tirait de son statut de « prolo officiel ». Après l’avoir bousculé, déstabilisé il fallait à Benoît prendre appui sur sa mauvaise humeur pour le cadrer. Le marché était d’une grande simplicité : Benoît offrait à Gustave de conforter, auprès du locataire de la place Beauvau, son statut d’indic n°1 au sein de la GP en échange d’agir selon sa volonté. Gagnant/gagnant : pour lui la pérennisation de sa situation de coqueluche idolâtré lui ouvrant tous les avantages collatéraux : baise, fric, fréquentation de la crème gépéiste : Clavel, Duras, Claude Mauriac, Joris Ivens et même Godard, vie facile ; pour Benoît, se dégager des tâches subalternes, manipuler tout le monde, s’infiltrer dans les cercles du pouvoir pour leur pourrir la vie. Bien évidemment, avec Gustave il n’entrerait pas dans ces subtiles considérations. Comme il le tenait à la fois par les couilles et par la peur, lorsqu’il lui ferait part de ce que seraient à l’avenir leurs relations ce serait comme sur le foirail, entre maquignons, qui baise qui, on ne sait pas vraiment, mais au bout du compte on tope-là.
Au lieu de se coltiner le Gustave en tête à tête dans cette chambre, théâtre de ses ébats interrompus, Benoît se tournais vers Aline de Lescure pour l’inviter à regagner la réception à son bras. De très bonne grâce, elle se pliait à cette bonne manière des plus bourgeoise en taquinant au passage le Gustave : « Viens avec nous le surineur. Ne fais pas cette tête-là. Crois-moi tu es un bon coup Gustave, je n’ai jamais joui comme ce soir … » À la tête qu’il fit, étonnée et satisfaite, en se rengorgeant, benoît comprenait que le compliment, même s’il flattait l’enflure, chagrinait son machisme profond : la qualification de « bon coup » ne pouvait s’appliquer qu’aux pétasses. Pour emporter la décision Benoît lui passait une nouvelle couche : « Avec la pub que va te faire Aline tu vas pourvoir te constituer un harem sacré veinard ! » Sourire retrouvé, Gustave relevait sa grosse carcasse en lâchant un vent chuintant et odoriférant. « Ça dégage ! » commentait-il avec son intonation ch’timi qui chuintait elle aussi en « décache ! ». Au bras de benoît, la zélote d’Antoinette Fouque, réprimait un haut le corps. Plein de commisération hypocrite Benoît lui tapotait la main. « Les luttes de libération, Aline, passent souvent par des chemins de traverse un peu fangeux. On ne fait pas la Révolution sans se salir les mains… » Gustave dodelinait sa grosse tronche, l’air de dire, ce mec c’est vraiment qu’un phraseur mais sans pour autant se sentir visé par la réflexion de Benoît puisqu’il leur balançait : « Ce n’est pas mon cas, moi j’ai jamais eu les mains aussi propres que depuis que je me suis embarqué dans la Révolution… » Et de rire grassement en postillonnant sur le dos dénudé d’Aline.