Le cabinet ABC, Armand&Benoît&Chloé, s’installa avenue de Lowendal, dans le huppé et discret 7e arrondissement, il affichait sur sa plaque : Conseil. En ces temps post-soixante-huitard la fonction gardait tout son mystère face aux besogneux conseillers juridiques ou fiscaux considérés par les avocats et les notaires comme des usurpateurs ou, pis encore comme des « corruptibles », elle leur permettait d’échapper à l’opprobre des professions officielles chapeautées par des Conseils de l’Ordre. De plus, n’ayant nul besoin de générer du chiffre d’affaires pour vivre, ils ne m’aventuraient pas sur les pâtures favorites de leurs concurrents. Ils se contenteraient de conseiller, en clair de manipuler les uns et les autres. En termes de renseignement le cabinet constituait une superbe couverture. Dans un premier temps, tout en conservant leurs connections nocturnes au sein des mouvances gauchistes, la GP tout particulièrement, ils se limiteraient à compléter leur pelote, de tisser leur toile, de régaler, d’arroser. De mettre des celles et ceux qu’il fallait dans leurs lits. D’assurer les fins de mois de certains. De recueillir des confidences. De diffuser des rumeurs, ce qui leur était facile eu égard à leur double position d’agents dormant de la cellule MR du déjà fouteur de merde Bertrand petite main de Marcellin au sein des RG et de membres du Tout Paris. La propension des hommes à se précipiter dans des sacs de nœuds pour du fric, des femmes est extraordinaire. Ils passaient leurs journées à ne rien foutre, et leurs soirées soit dans les réunions des « enculeurs de mouche » de la GP, soit dans des obligations mondaines dont raffolent le Tout Paris de la politique, des journalistes, des lobbyistes, des femmes de pouvoir…
La mécanique des « sociétés civiles de placement immobilier », les fameuses SCPI, pompes à fric puisant dans le bas de laine des petits épargnants avides de gains à deux chiffres, transformait la pierre en papier. En effet, pour le législateur il fallait offrir au secteur immobilier en plein boom de nouvelles sources de financement et les petits génies du Ministère des Finances, nichés dans les soupentes du Louvre, rue de Rivoli, jamais en reste de formules pompeuses écrivaient dans leurs Notes bleues « la mise en place des SCPI vise de surcroît à favoriser une démocratisation de la propriété tout en offrant au grand public une « forme moderne de mobilisation de l’épargne ». Deux mots magiques : démocratisation et moderne qui mettaient tous les prédateurs en chasse de gogos. Comme toujours dans notre beau pays toutes les sécurités sont officiellement en place pour rassurer le petit épargnant : les SCPI ne peuvent se livrer directement à des actes de commerce, acheter et revendre des biens par exemple, elles doivent donc confier leur fond à des sociétés de gérance d’où l’utilité absolue des « hommes de paille ». La formule qui allie, selon les encarts publicitaires, disponibilité : céder ses parts est plus facile que de vendre un immeuble ; rentabilité : les plus « performantes » proposent des taux d’intérêts annuels supérieurs à 10 %, ce qui, en période d’inflation, attire bien plus que le Livret A de la Caisse d’Epargne, et son petit 5%, les rentiers de Romorantin ; sécurité traditionnellement liée à l’investissement pierre ; fait fureur. Et puis, cerise sur le gâteau, une petite niche fiscale : l’exonération de l’impôt sur les Sociétés, qui est en 1969 de 50%, pour les SCPI. Tout le monde est content, la fraîche afflue, circule, fait des petits et, bien sûr, alimente le lubrifiant des affaires immobilières : les pots de vin aux hommes de pouvoir.
Très vite la petite bande jeta dévolu sur la SCPI la plus juteuse en termes de rendement politique : la Garantie Foncière. Créée par Robert Frenkel, un self-made-man de 35 ans rondouillard à grosse moustache, qui s’était lancé dans l’immobilier à l’âge de 25 ans, la Garantie Foncière se situait au carrefour fangeux du monde des affaires et du monde politique. Elle achète des immeubles avec l'argent de ses clients et leur verse en contrepartie une rémunération annuelle de 10,25 %. Les petits épargnants sont d'autant plus enclins à lui faire confiance que les SCPI concurrentes sont moins généreuses. L'astuce, du type « schéma de Ponzi », consiste à régler les intérêts promis avec l'argent frais qu'apportent les nouveaux souscripteurs.