Tout devenait transparent, la bête ne voulait pas retourner dans sa bauge. Les douceurs bourgeoises lui plaisaient. Ses menaces non voilées, lorsqu’il avait pris l’air de celui qui savait ce que ça voulait dire, prenaient tout leur sens. « Pour eux, un gars comme toi, celui qu’on va dire que tu es, c’est une putain de recrue. Méfies-toi de ne pas te prendre à leur petit jeu et de ce que veulent entendre les chefs. C’est tentant tu sais de chier dans les bottes de tout le monde. Moi, depuis que j’ai commencé à balancer je peux plus m’arrêter, ça me soulage comme quand je dégueule le lendemain d’une sale biture. Alors je raconte des craques à tout le monde. Je n’ai pas envie que tu tues la poule aux œufs d’or mec ! Alors déconne pas, ne m’enlève pas le pain de la bouche sinon je cafte le morceau à mes potes révolutionnaires et je suis certain que tu passeras un sale quart d’heure… » Gustave pouvait tout ce permettre, même de taper dans le dos du père Sartre en lui balançant que « tout grand écrivain que t’es, quand t’as le cul sur la cuvette des chiottes, tu ne chies pas plus haut que nous, non ? ». Le langage vert du peuple enchantait. Gustave en rajoutait. J’allais moi aussi en rajouter, retourner Gustave à mon unique profit.
La réunion s’étirait, vide. Les frelons ne bourdonnaient même pas ils se sodomisaient mutuellement à grands coups de langue de béton. Gustave, bercé par leur musique sérielle, s’était assoupi ses grosses pognes croisées sur son imposante bedaine. Bientôt, ses ronflements, bouche ouverte, tronçonnait le débat. Imperceptiblement, comme pour respecter le repos bien mérité du prolo, les intervenants baissaient le ton, chuchotaient presque, ce qui conférait à l’étrange assemblée un statut de matines monacales. À intervalles réguliers, la respiration de Gustave se bloquait. En apnée, son visage rougeaud se violaçait. Ses épaules s’affaissaient. Sa masse corporelle semblait se calcifier. Le silence se faisait. Les petits maos s’inquiétaient, et si leur pur spécimen de prolo virait de l’œil, que feraient-ils ? Ils paniqueraient comme lors de la première bataille de Flins : une volée d’étourneaux, le sauve-qui-peut désordonné, tout sauf un beau repli en bon ordre. Suspendus à l’insondable vision de cette bouche peuplée de chicots ébréchés et jaunis par la nicotine, sûr que certains priaient. Et puis, tel un diesel poussif, secoué de spasmes violents, le Gustave réenclenchait sa pompe à air. Un zéphyr de plaisir léchait les tignasses ébouriffées de ces mômes que Marcellin appelaient des enragés. Imperturbablement ils reprenaient le fil. Nous nous emmerdions ferme et, nous nous sentions comme l’enflure guettés par une belle plongée dans le sommeil
Alors que Benoît se laissait aller à faire quelques incursions dans ce plaisir ouaté un lourd fracas le faisait sursauter. Ses deux voisins, comme tout le reste de l’assemblée, se redressaient vivement. Pétrifiés. Lui restait assis un peu abasourdi. La chaise de Gustave, sous le poids de la bête, s’était désintégrée. Surpris dans son sommeil l’enflure s’était affaissée comme un soufflé trop cuit. Protégé par son large cul il rebondissait tel un culbuto, déployant ses bras pour ne pas verser sur le côté. Il se stabilisait. Aucune main secourable n’osait se tendre vers lui pour l’aider à se remettre sur son céans. Les intellos, sans être particulièrement psychologues, se doutaient bien que leur « ancien mineur » chéri, leur chti ne goûtait guère sa nouvelle position. Seule Chloé, la seule fille présente, se précipitait. S’accroupissait offrant ainsi au vieux salingue le panorama de ses belles cuisses. Gustave inspirait puis sa grosse pogne se tendait vers le petit espace libre entre les genoux de Chloé. Dans un même élan tous les faux-culs se rasseyaient, tournant le dos à ce spectacle vulgaire. Ils bavaient mais n’en laissaient rien paraître. À son tour Benoît se levait. Gustave en était à fourrager dans le slip de Chloé qui bien sûr, au nom du respect de la classe ouvrière, le laissait faire.