Baroudant sur le terrain bordelais pour la campagne des primeurs – sa énième –, Jacques Dupont du Point ne semble pas, cette fois-ci, avoir interviewé le président Farges sur son tracteur, comme il le fit en une autre occasion, celui-ci lui répondant sous sa casquette de président de l'appellation bordeaux et bordeaux supérieur, rappelons qu’il est aussi, entre autres, président de la CNAOC, et la première question de Dupont est celle qui brûle toutes les lèvres de tous les parigos bobos adeptes du Bordeaux bashing :
« Quelle est votre réaction à l'émission Cash Impact diffusée en février dernier, qui faisait suite à Cash Investigation du 2 février 2016, sur le sujet des pesticides dans le vignoble français ? » ICI
Extraits :
« Il y a deux ans, Cash Investigation avait d'une certaine façon rendu service en posant les vraies questions »
« Aujourd'hui, on aborde, entre professionnels, des sujets sur l'environnement, sur les changements de pratique, que l'on n'aurait jamais abordés il y a à peine quatre ans, jamais… »
« Ça va très vite, et en termes de coût, c'est supportable ! L'arrêt du glyphosate (herbicide) est validé et aucun viticulteur ne s'y oppose, même si c'est un changement brutal dans l'organisation du travail. C'est le prix à payer pour avoir une approche plus respectueuse de l'environnement. »
« On change nos pratiques, on travaille différemment, et on répond au refus sociétal de la chimie. »
Fort bien, après des années d’indifférence, de déni, de résistance, voilà le vignoble bordelais engagé sur la bonne voie.
Ne voyez aucune ironie dans mon constat mais permettez-moi de signaler qu’en 2001, dans mon rapport, j’énonçais ce que, d’après moi, devaient être les 4 objectifs du plan stratégique des Vins Français pour 2010 que j’appelais de mes vœux. C’était page 23 et le premier de ces objectifs était : devenir leader en matière de pratiques respectueuses de l’environnement.
Même si, au dire de certains, j’ai un ego surdimensionné, ce rappel n’a pas pour vocation à me décerner un brevet de visionnaire. En ce temps-là je n’étais pas conscient des risques des pesticides sur la santé humaine, mon approche était pragmatique : comment le pays qui brandissait son terroir comme l’oriflamme de sa supériorité sur les barbares du Nouveau Monde pouvait-il le massacrer en le bombardant de pesticides ?
Vie des sols, pollution de la nappe phréatique, biodiversité, j’estimais qu’il y avait là une distorsion entre le discours dominant et la réalité. Les journalistes anglo-saxons ne manquaient pas d’ironiser sur ce sujet et, lorsque Bernard Dauré, qui avait créé un domaine au Chili avec le patron de la Martiniquaise, m’avait annoncé lors de ma mission dans les PO sur les VDN, avec un large sourire : là-bas je suis Organic, ça m’avait mis la puce à l’oreille.
Rassurez-vous je ne fais aucune fixette sur le retard à l’allumage des grands chefs du vin, en l’occurrence ici Bernard Farges qui est tout à fait représentatif, je ne pratique pas le Bordeaux bashing au sens où on l’entend, cette chronique n’a pas d’autre objectif que de m’attarder sur le constat de Bernard Farges :
« Aujourd'hui, on aborde, entre professionnels, des sujets sur l'environnement, sur les changements de pratique, que l'on n'aurait jamais abordés il y a à peine quatre ans, jamais… »
Pourquoi ce refus de se colleter à une réalité, certes dérangeante, pourquoi adopter l’attitude de l’autruche, pourquoi une telle surdité, pourquoi les responsables ont-ils eu peur d’affronter leurs troupes ?
Ma réponse tient en peu de mots, les représentants des AOC maintenant devenus AOP-IGP ont abandonné le terrain qu’occupaient les pionniers, celui d’un arbitrage permanent entre la défense de l’intérêt général et celle des intérêts de leurs mandants, au profit d’une défense purement syndicale où l’on se garde bien d’affronter la base, de tenter de l’amener sur un terrain autre que celui du pur refus.
Facile à dire me rétorquerez-vous, je n’en disconviens pas mais je mets le doigt sur un mal bien français que les élus de toute obédience ont fait prospérer depuis des décennies, l’attentisme qui produit un immobilisme ravageur.
Sans jouer les anciens combattants si, avec Michel Rocard, alors Ministre de l’Agriculture, nous avions cédé aux craintes du château, François Mitterrand et son entourage, jamais au grand jamais nous aurions réglé, dans la douleur certes, l’épineux problème de la reconversion du vignoble méridional, par les accords dit de Dublin.
Le lamento des hiérarques socialistes était « ne touchez pas à notre bastion historique sinon ce sera le début de la fin… » L’Histoire a jugé différemment puisque le règne de Jacques Blanc pris fin au profit du grand Georges Frèche et que le Languedoc resta rose pâle. Bref, le début de la fin est aujourd’hui entamé mais les mannes de Rocard n’y sont pour rien.
Anticiper, accepter d’aborder les sujets qui fâchent, expérimenter des solutions alternatives, ne pas céder à la facilité, laisser la place aux débats avec les opinions minoritaires, ne pas les verrouiller au nom de combats horizontaux dictés par la FNSEA, écouter plus attentivement les attentes parfois contradictoire de l’opinion publique.
Tant que régnera l’entre-soi dans le monde du vin, cette incapacité à s’ouvrir à un monde, largement majoritaire, qui ne vit pas du matin au soir dans le monde merveilleux des amateurs, des dégustateurs, des commentateurs du divin nectar.
CNRTL : Jusqu'à la lie
Locution. Jusqu'au bout, complètement. Boire le calice, la coupe jusqu'à la lie.
« Enfin (...) ne goûtait-il pas jusqu'à la lie ce que Marguerite d'Angoulême a si bien nommé l'ennui commun à toute créature bien née ? »(France, Vie littér.,1890, p. 55).
« Beauté du dévouement et du sacrifice, menues peines et grandes joies de l'amour conjugal (...) les romancières d'Angleterre, de France, d'Amérique (...) ont exploité ces thèmes jusqu'à la lie » (Beauvoir, Deux. sexe, t. 2, 1949, p. 552)
« Vois-tu, mon ange, il y a dans un seul homme assez de substance pour nourrir toute une vie − et quelle vie peut se flatter d'en avoir consommé une autre jusqu'au bout, jusqu'au fond, jusqu'à la lie ? » Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1424.