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1 avril 2018 7 01 /04 /avril /2018 06:00
La Pâque juive, Dirk Bouts, Louvain, 1468

La Pâque juive, Dirk Bouts, Louvain, 1468

« Citoyen suisse originaire de Corfou, Albert Cohen nous invite à sa table. Comme tous les orientaux, ce juif séfarade (branche méditerranéenne du judaïsme, dite originaire d’Espagne) ne se contente pas de faire servir les plats de sa tradition familiale : il les nomme, les décrit, en donne même la recette, et il sera vexé si vous n’y goûtez pas.

 

Il  se réjouit de vous voir consommer sa cuisine, car il est sûr ainsi  que vous pourrez le bien comprendre. Sa littérature n’est pas seulement nourrissante intellectuellement : comme l’œuvre rabelaisienne, elle enseigne tout un univers moral et politique en flattant l’épigastre.

 

Et voici sur la table toutes les senteurs, toutes les saveurs, toutes les splendeurs de la cuisine judéo-balkanique qui vous pénètrent, répandant le plaisir, la joie de vivre, même dans les jours les plus noirs, car sa leçon est toujours la même : « lehaïm » à la vie, dit-il, levant symboliquement son verre de vin.

 

[…]

 

« outre le souci, légitime, d’employer un français épuré,  d’extension universelle chez un auteur dont le langue maternelle, le judéo-vénitien nous dit-il, n’était pratiqué que par un millier de personnes à Corfou, à l’époque où il y naquit, il y a peut-être celui de renforcer le  mythe des Valeureux de France, « faits citoyens français parfaits par l’effet du charmant décret de l’Assemblée nationale du vingt-sept septembre 1791 » selon Saltiel, fiers de le rester et d’entretenir « le doux parler » de notre pays.

 

En tout état de cause, l’absence remarquable du vocabulaire étranger, le refus de l’emprunt témoignent du souci d’assimilation, voire d’intégration, de la part d’Albert Cohen. Intégration réussie, non seulement par sa carrière de haut fonctionnaire international, mais encore comme écrivain français. N’oublions pas qu’il est un émigré, juif de surcroît, ce qu’il ne risque pas d’oublier, comme en témoigne la scène du camelot antisémite, l’injuriant et le désignant à la vindicte publique le jour anniversaire de ses 10 ans (Ô vous, frères humains, page 38), scène indélébile, qui revient à plusieurs reprises et ne sera jamais oubliée puisqu’il en traitera encore passé ses 80 ans. »

 

Extrait de l’Introduction d’Henri Béhar

 

 

Citations  

 

« Et il s’approcha du sourd tavernier épouvanté, le prit par le col et lui hurla d’apporter cinq litres de vib=n résiné, une demi-douzaine de boutargues bien épaisses, de l’huile d’olive et trois miches de pain « spongieuse et avaleuses d’huile et que ta mère soit Maudite ! » (Mange., 30)

 

« … petite baraque, qui s’appelait « Au Kass’Kroutt’s », on demandait timidement une bouteille de bière, de assiettes, des fourchettes et, pour se le concilier, des olives vertes. Le garçon parti, c’est-à-dire le danger passé, on se souriait avec satisfaction, ma mère et moi, un peu empotés. » (Mère, 39)

 

« Et puis j’apporterai du vin résiné pour mes amis parce que j’aime les belles choses de la vie, l’affection, l’odeur  de la mer, et puis on cause ensemble et on se tient par la main et on est sûr que Dieu est bon et qu’on se reverra après la mort ! » (Val., 104)

 

« Puis il [Salomon] stationna devant les voutes du bâtiment séparé où étaient les cuisines et les logements des domestiques. U four s’échappaient des senteurs d’agneau et les vapeurs salées du fromage. La bouche ouverte et un index libéral dans la narine, Salomon regardait les frises de poivrons et admirait les servantes qui éventaient les réchauds. (Solal, 44)

 

« Les petits affamés et roulés restèrent debout à contempler l’ogre, qui, deux fourchettes dans chaque main, mangeait affectueusement des saucisses de bœuf, du fromage fumé, de la rate au vinaigre et, délicate fantaisie et scherzo final, une salade d’yeux d’agneaux qu’un boucher de ses amis, qu’il payait en beaux discours. » (Mange., 79)

 

« … ils s’assirent en rond, sous les incalculables feux du ciel, et ils se régalèrent des merveilles sorties de deux bourriches et d’une jarre en terre cuite, à savoir des nouilles aux raisins de Corinthe, bien poivrées ; de la morue frite avec beaucoup d’oignons frits, des pois chiches aux épinards, des feuilles de vignes farcies… » (Mange., 147)

 

Henri Béhar, spécialiste de la littérature d’avant-garde, a écrit des ouvrages de référence sur Alfred Jarry, Dada et le Surréalisme. Il dirige la revue Mélusine (Cahiers du Centre puis de l’Association pour la recherche et l’étude du surréalisme). Fondateur de l’équipe de recherche Hubert de Phalèse, il est professeur émérite, depuis 2005, de l’Université Paris III-Sorbonne Nouvelle, qu’il a dirigée de 1982 à 1986.

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