« Suis-moi ! » Chloé levait sur Benoît un regard décontenancé. L’enflure, tel une carpe hors de l’eau, ne trouvait pas les mots de merde dont il voulait le consteller. Chloé se marrait. Benoît frappait fort sans aucune pitié il achevait l’infâme d’un méprisant : « Bas les pattes vieux saligaud, tu n’es qu’une grosse merde puante… » et, se tournant vers les défenseurs des opprimés, il leur passait une avoinée : « Chez moi on respecte les femmes. Vous n’êtes que des couilles molles, des mal-baisés, vous me donnez envie de gerber. Vous déshonorez votre cause en tolérant que cette outre pleine de bière se fasse tailler des pipes par vos sœurs. Je n’aime pas faire la morale mais vous feriez mieux d’aller aux putes vous soulager vos gonades plutôt que de vous branler de mots ronflants… » Chloé debout tirait sur son bout de jupe en stretch. Benoît la prenait par la main pour l’entraîner au dehors. Armand imperturbable, tout en restant assis, lançait à l’assemblée abasourdie « Le temps de l’autocritique est venue, pour cette enflure de Gustave je propose une mise en accusation dans les formes de la justice populaire… genre procès de Moscou… »
Chloé était une grande bringue aux cheveux décolorés et taillés à la serpe en une sorte de brosse broussailleuse, pleine de trous et de bosses, qui donnait à son visage bien dessiné, aux traits fins, à la peau nacrée, un air clownesque. Dans ses yeux, d’un bleu délavé piqueté de poussière d’or, flottait un étonnement perpétuel, Chloé semblait jeter sur son environnement un regard d’enfant surpris. Impression renforcée par la moue de sa bouche aux lèvres charnues, gourmandes, fraîches et humides, dévoilant une dentition digne des publicités pour Émail Diamant. Mais, ce qui pouvait paraître étrange, ce qui avait frappé Benoît de prime abord, lorsqu’il l’avait aperçu en arrivant dans la salle de réunion, c’était la forme de ses oreilles, pointues, aux pavillons transparents : des oreilles de louve où pendaient de grands anneaux de gitanes. Ça l’avait fait bander, sec et dur. Elle portait un tee-shirt moulant et court qui accentuait sa platitude de planche à pain plantée sur des hautes tiges assez fines sans être pour autant des cannes de serin. Quand elle s’était portée au secours de Gustave Benoît avait surpris les regards déshabilleurs des défenseurs des larges masses. Ces frustrés, tels une harde de jeunes loups affamés, si la peur de la réprobation collective ne les avait pas retenus, se vivaient en voyeurs et en violeurs au travers des grosses paluches baladeuses de l’immonde Gustave.
Les nuits de juin gardaient une pointe de fraîcheur aux côtés de Benoît Chloé frissonnait. Il lui jetait son perfecto sur les épaules. Elle s’immobilisait, le contemplait de ses grands yeux flous, ses longs bras osseux, en une geste hésitante, l’enserraient, ses mains aux longs doigts fins lui caressaient la nuque. Sa voix était rauque, cassée. « T’es un drôle de mec, toi… Tu es le premier qui s’intéresse à moi. Qu’est-ce que tu viens foutre dans ce merdier de sales petits cons ? » Chloé sentait le jasmin. Benoît le lui dit. Elle s’écartait et riait d’un grand rire cascadant. « Vraiment tu n’es pas dans la norme. Tu aimes les femmes toi. Ça me fait tout drôle. Embrasse-moi ! » Ils restèrent un long moment à se bécoter, à se tripoter comme des ados au beau milieu du trottoir. Chloé avait la peau douce et les fesses glacées. Benoît le lui dit. De nouveau Chloé partait dans sa cascade de rire, la stoppait net pour proclamer : « Beau gosse, j’ai peut-être le cul gelé mais pour le reste c’est l’Etna. Tu n’as pas des mains d’ouvrier mec ! Je connais. Eux ils ne s’embarrassent pas de préliminaires. Ils te tirent. Te liment comme une queue de rat. Défouraillent. Leurs mains, à eux, tu les sens sur ton cul ou sur tes hanches. Bien arrimées. Bien dures. Les tiennent, elles, cherchent mon plaisir… »
Deux couples de gens bien comme il faut, des quadragénaires bien nourris, rentrant sans doute du cinéma, ralentissaient leurs pas pour ne rien perdre de la proclamation de Chloé. Arrivés à leur hauteur, tout en serrant leur rang, ils hésitaient. Le spectacle les fascinait. Chloé, alors qu’elle parlait des mains de Benoît cherchant son plaisir caressait du bout de ses doigts la protubérance de la braguette de celui-ci. Lui, avec un air de Lou Ravi, se laissait faire tout en les contemplant. À coup sûr les deux types espéraient plus, un passage à l’acte, alors que du côté des femmes, l’une semblait prête à sauter le pas, alors que l’autre marquait sa réprobation. Chloé, qui leur tournait le dos, mais qui sentait leur présence, hésitait. Allait-elle désincarcérer le sexe de Benoît ? Ses doigts tentaient de faire sauter les boutons métalliques de son jeans puis s’immobilisaient. Cabotine, elle tortillait ses petites fesses, passait ses doigts dans sa toison hirsute et, en voltant, faisait face à nos spectateurs « Braves gens, mon envie rejoint la vôtre mais, comme j’ai une soif de gueuse, faut que je m’envoie une petite mousse avant de consommer la sienne. Désolée… » Plantant-là les voyeurs interloqués elle tirait Benoît par le bras sur le trottoir comme s’il était un mulet rétif.