Pour Noël, « offrez des livres ! Ils s’ouvrent comme des boîtes de chocolats et se referment comme des coffrets à bijoux » signé Bernard Pivot sur Twitter.
Démonstration !
Dans mes sabots j’ai reçu La saga des Coughlin de Dennis Lehane.
Un pavé de 1.700 pages bien emplies, du lourd donc, y compris pour lire au lit.
Les éditions Rivages ont eu l’excellente idée il y a deux mois de réunir les trois romans en un seul volume.
J’avoue humblement que j’ignorais que Dennis Lehane fut un des maîtres du polar étasunien.
Je consulte Libé :
Harlan Coben, George Pelecanos, Dennis Lehane : voilà la tierce majeure du roman noir américain actuel.
En termes de ventes, le New Jersey boy Coben, 55 ans, caracole en tête, écriture et intrigues «fais-moi peur» réglées comme du papier à musique. En termes d’aura critique, le Washingtonien Pelecanos, 60 ans, truste les aficionados, grâce notamment à son tandem avec le scénariste David Simon qui semble avoir le génie des séries cultes hyperréalistes : Sur écoute dans un Baltimore vérolé par la criminalité, Tremesur la Nouvelle-Orléans post-ouragan Katrina et maintenantThe Deuce, immersion dans le milieu porno new-yorkais des années 70. Et, entre les deux, il y a Dennis Lehane, 52 ans, de Boston. Le plus discret, le plus taiseux, et le plus surprenant - partant, le plus intrigant.
Lehane, depuis le départ, est passablement imprévisible, pour le meilleur comme le moins bien.
Dans La saga des Coughlin on suit les hommes d’une famille américaine, de ses débuts dans les forces de l’ordre à Boston jusqu’à Miami pendant la prohibition et à l’après seconde guerre mondiale, quand les hors-la-loi, les bandits sont fatigués. Je vous en dis le minimum, sachez simplement que c’est une belle, une flamboyante, une mélancolique histoire de mafieux. On ne lâche pas le pavé jusqu’à la dernière page.
Les Coughlin, des Irlandais, Thomas le Père, haute personnalité de la police bostonienne, corrompu mais propre sur lui, Danny flic aussi, forte tête, Connor, l’intello, au bel avenir brisé et le petit dernier Joe, qui deviendra un hors-la-loi qui voisinera Meyer Lansky et Lucky Luciano…
Extrait page 809 les flics de Boston cassent du bolchevik alors que d’autres flics ont déclenchés la première grève de la police, tous d’origine irlandaise !
Mémorial de la famine à Dublin
« Dieu sait pourtant que le spectacle était tout sauf réjouissant ! Autour de lui, il ne voyait que des visages transformés en masques répugnants, parmi lesquels ceux de ses compatriotes – des faces aussi typiques de l’Irlande de la pomme de terre et de l’excès d’ivresse. Sur leurs traits crispés se lisaient autant de fureur que d’autoapitoiement. Comme s’ils avaient le droit de se livrer à de tels débordements ! Comme si ce pays leur devait plus que ce qu’il avait accordé à Thomas lorsqu’il était descendu du bateau – à savoir, une nouvelle chance. Il aurait voulu les repousser jusqu’en Irlande, directement dans les bras aimants des Anglais, les renvoyer à leurs champs arides, à leurs pubs nauséabonds et à leurs femmes édentées. Ce pays de grisaille ne pouvait leur offrir que la mélancolie, l’alcoolisme et l’humour noir des éternels vaincus ; alors ils étaient venus ici, dans l’une des rares villes au monde prête à les traiter sur un pied d’égalité. Pour autant, se comportaient-ils en Américains ? Manifestaient-ils respect ou gratitude envers leur pays d’adoption ? Oh non. Ils agissaient comme ce qu’ils étaient : les nègres de l’Europe. Comment osaient-ils ? Quand tout serait terminé, songea Thomas, il faudrait au moins une décennie aux bons Irlandais tels que lui pour réparer les dégâts causés en deux jours par cette populace enragée. Soyez maudits ! songea-t-il en continuant à les mener vers le point stratégique. Soyez maudits pour avoir encore une fois souillé notre peuple. »
« Dennis Lehane sort en 2012, « Live By Night » (« Ils vivent la nuit » dans l’édition française), il restitue toute l’atmosphère de la prohibition et du trafic de rhum entre la Jamaïque et les États-Unis au milieu des années 1920 à travers une famille d’irlandais, les Coughlin, où l’on est soit truand, soit flic. Comme Ellroy, il cherche à montrer une autre histoire de l’Amérique, celle des oubliés, des laissés pour compte de la version officielle, des soldats inconnus du roman national. Son précédent roman, « Un pays à l’aube » (2008), réussissait déjà ce challenge en nous contant une grève des policiers à Boston à la fin de la Première Guerre Mondiale et qui tourne à l’émeute, au moment où les Etats-Unis s’apprêtaient à devenir la puissance mondiale que l’on sait. En mélangeant gens de peu (les Coughlin, des émigrés irlandais) et personnages connus (John Edgar Hoover, le futur chef du FBI de 1924 à 1972), Dennis Lehane entremêle les fils d’un récit qui n’a que peu à voir avec celui décrit dans les manuels d’Histoire et torpille à coup de lutte des classes le fameux rêve américain. En s’appuyant sur les codes du roman policier (violence, rapidité, dialogue à l’emporte-pièce, description cinématographique, psychologie réduite au minimum, etc.), il permet à sa lectrice et à son lecteur d’entrer sans nostalgie mais avec intelligence dans une réalité brutale, où les cocus de l’Histoire, les perdants pas très magnifiques, ont presque toujours tenté d’inverser le cours des choses. En vain.
Chez Lehane, les hors-la-loi tourmentés ont la cote et il n’y a pas de héros; les bons tentent de faire simplement les moins mauvais choix dans un éventail d'options difficiles. La nature même de ce dilemme constituera un moteur pour Joe qui, naviguant avec succès entre politique et mafia dans un monde crépusculaire, tentera de conserver le peu de repères qui lui reste. Mais, tous ses efforts pour survivre seront vains et, dans une période où code d’honneur, amitié et sens de la famille se délitent, il paiera au prix fort toute une vie de péchés. »