Sous les tilleuls de la place de l'église Benoît la déshabilla, pièce par pièce. À nu, son corps, sous la pâle lumière de la pleine lune, loin de le précipiter dans le désordre des sens, le plongeait dans un recueillement profond. Ce fut une forme étrange d'adoration, un plaisir esthétique intense. Il prit un léger recul pour la contempler. L'admirer. Ses mains, telles celles d'un ébloui, se tendaient, l'effleuraient à tâtons, l'exploraient avec lenteur. Chaque parcelle d'elle infusait un puissant flux d'ondes qui le jetait, par secousses violentes, dans état proche de l'apnée. Il était au bord de la rupture mais, en dépit d'un sexe de silex, il se vivait si minable qu’il n'osait l'investir. Bandant ses dernières forces il allait au-devant de son désir. Elle acceptait ses mains avec volupté. Ouverte, elle lui offrit une jouissance d'apocalypse qui le propulsa vers des sommets inviolés. Chantal l'engloutit, il crut mourir.
Pendant tout un mois, chaque soir, il en fut ainsi. La première fois, en caressant ses cheveux bouclés épandus sur ses cuisses nues, Chantal lui avait dit « J'aime ta semence, elle a le goût du lait d'amande... » Ce j'aime sonnait à ses oreilles comme une promesse de victoire. Ils allaient s’aimer, être heureux. Le 30, l'orage menaçait. Sitôt leurs noces de chair Chantal allait à la fontaine et rapportait dans la nasse de ses mains de l'eau qu'elle laissait filer sur sa nuque. Le fil de l'eau fraîche traçait au long de son échine tiède une trace dure. Benoît frissonna. Chantal lui souriait. Soudain il prenait peur. « Assieds-toi ! » Le ton était faussement léger. Il s’exécutait en pensant qu’il ne le devrait pas. L'investir. La prendre. L'emplir. Sceller leur union. Qu'elle soit à lui, rien qu’à lui.
D'une voix sourde, elle qui d’ordinaire ne disait mot, lui parlait. Benoît n’avait plus le souvenir précis de tout ce qu'elle lui dit car elle en avait tant dit. À aucun moment il ne l’avait interrompu. C'était sobre et juste. Son cœur s'était mis à battre la chamade lorsque il l'avait entend dire « Toi tu n'es pas comme les autres. Je ne suis pas sûr que tu sois aussi gentil que tu en as l'air mais je m'en fous. Toi tu ne me prends pas pour un trou à bites. C'est bon tu sais... » Benoît frôlait la défaillance. Chantal se tordait les mains. « Ce que je vais te dire va te déplaire mais, je t'en supplie, ne dis rien. Laisses-moi aller au bout. C'est si dur... » La crainte lui tombait dessus. Chantal murmurait « Tu es trop bien pour moi… » Il se cabrait. Elle posait une main ferme sur mon bras. « Ne te fâche pas ! Ce n'est pas de ta belle gueule dont je parle, c'est de toi. Je ne peux que te décevoir et je ne veux pas te décevoir... »
Avant même qu’il ne se rebiffe Chantal le tirait face à elle. Ils étaient nus. Benoît l'entendait lui dire « Je te propose un marché. Tu prends ou tu laisses mais, quelle que soit ta réponse, nous ne nous reverrons plus... ». Il aurait dû gueuler, lui foutre sa main sur la gueule mais il ne savait ni gueuler, ni foutre une main sur la gueule d'une fille. Alors face à sa pleutrerie Chantal a pu aller au bout de son propos « Voilà, si tu le veux bien, je t'emmène dans mon lit. Là où tous ces boucs qui me sautent disent me faire l'amour. Allons y faire l'amour... » Elle s'était tue, regardé droit dans les yeux, « Tu veux bien ? ». Lâchement Benoît avait répondu oui.