Son marché Benoît l’avait accepté sans protester. Chantal partait dès le lendemain travailler à Paris. Ils ne sont plus jamais revus. Bien des années plus tard, dans la salle d'attente d'une gare, il ne se souvenait plus très bien où, ce devait être au fin fond de la Manche, à Valognes, sur une banquette de skaï craquelé d’un autorail, Benoît avait ramassé un bouquin de poche défraîchi. Comme il avait horreur de voir les livres abandonnés, ça le fâchait, il l'avait fourré dans son sac à dos sans même regarder le titre avant de s’avachir sur la banquette. Il était en avance. Il n'avait aucune raison d'être en avance mais il était toujours en avance. Ce jour-là Benoît avait décrété qu’il ne voulait pas rater le train. Tout le monde s'était marré vu sa situation de glandeur professionnel. Une bonne demi-heure à tirer. Attendre ! Dans ce bout de sa vie il passait son temps à attendre. Benoît n'attendait rien mais il attendait. Complaisant il passait ses jours à s'apitoyer sur lui-même en grillant des clopes roulées et en éclusant des bières.
Quand Benoît avait trouvé ce petit livre, ce devait être le jour où j'étais allé voir Bourrassaud, et qu’ils avaient carburés, trois jours durant, au Calvados. Sa tête faisait office de laminoir. Il pelait de froid alors qu'il faisait tiède. Bourrassaud lui avait prêté un vieux pull qui sentait le moisi. Ça ne le dérangeait pas car il était moisi. Le dimanche ils avaient bouffés comme des chancres des trucs qui baignaient dans la crème en sifflant des bocks de cidre. Marie-Jo, la femme de Bourrassaud l'aimait bien. Elle était plantureuse, sensuelle et, surtout, elle portait des bas. Les bas et les porte-jarretelles ce n'est pas son truc. Benoît trouvait que ça fait chaudasse. Pourtant, Marie-Jo, qui dans ce trou pourri s'habillait avec goût, donnait aux bas résilles un charme qui le troublait. Elle n'allumait pas Marie-Jo, non, elle se contentait d'aller de venir, de s'asseoir, de se relever avec grâce. Benoît la contemplait. Elle accrochait un petit sourire à ses lèvres bien dessinées et décrétait que c’était elle qui allait le raccompagnerait à la gare.
Dans la 4L le spectacle de ses cuisses à demi-découvertes le chavirait mais il résistait. Avant qu’il ne s'extrait de la carlingue, Marie-Jo lui avait dit « Benoît, tu deviens moche, c'est triste qu'un type comme toi se vautre dans le n'importe quoi. Fais-moi plaisir ne reviens plus... » Bien sûr ça l'avait un peu secoué mais Benoît s'était contenté de lui sourire bêtement en lui jetant un regard vide. Me précédant elle l'avait accompagné jusqu'au guichet. Moulée dans une jupe en stretch et un pull angora vert anglais lui découvrant le nombril, la Marie-Jo, toute rousseur dehors, lui donnait soudain envie de sortir de mon coaltar. Il trouvait la force de grogner un, « T'as raison faut que je me lave... », pâteux. Ça avait fait rire Marie-Jo qui, voltant, lui avait roulé une pelle monstrueuse qu’il avait recueilli comme une huître pas fraîche. Avant qu’il ne réagisse elle était déjà partie. C'était mieux comme ça ainsi. Chasser sur les terres des amis ce n'est pas son genre et puis, en ce temps-là, benoît ne chassait pas du tout. Marie-Jo valait mieux qu'un détritus dans son genre. Sa libido défaillante le précipita dans un profond sommeil. Il rata la correspondance avec l'express et dû s'embarquer, à la nuit tombée, dans un tortillard.