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13 février 2018 2 13 /02 /février /2018 06:00
La résistible ascension de Benoît H Donatien, soixante et onze ans, avait appris à ses sept enfants  « à ne pas être des valets » (15)

Tout allait si vite, en une poignée de jours Benoît venait de basculer du statut de dandy dilettante, arpenteur de salons, à celui de meneur non encarté, sans base connue, d'un mouvement échevelé, dépourvu de cap et de stratégie. Et pourtant, ici, à Nantes, les spasmes des étudiants trouvaient un écho favorable chez les mecs qui se lèvent tôt le matin. Aux chantiers de Penhoët, à Nord-Aviation de Bouguenais, chez Say à la raffinerie de Chantenay, chez Saunier-Duval, et dans plein d'entreprises les salariés bougeaient. Ils se méfiaient des étudiants, de leur logorrhée, de leur extrémisme gratuit. Dans les appareils syndicaux, des figures s'affrontaient : Hébert l'anarcho-syndicaliste de FO, son collègue Rocton trotskyste de Nord-Aviation, Louis Morice de la CFDT des employés des chantiers de l'Atlantique, un catho de gauche, Andrieu le Cégétiste hors appareil, un PSU... Ce bouillonnement touchait aussi, hors la ville, les paysans. Autour de Bernard Lambert, le tribun aux gitanes maïs, tombeur d'André Morice le maire de Nantes aux législatives de 58, le jeune Bernard Thareau, au regard bleu, visage d'ascète, empli d'une volonté farouche, et des moins connus tel Joseph Potiron de la Chapelle-sur-Erdre. Eux travaillaient sur les deux fronts. Ils étaient unitaires pour deux. On se réunissait beaucoup et Benoît en était. Il en était par hasard, dans sa vie, le hasard, lui avait toujours ouvert des fenêtres sur des mondes inconnus où il s’était jeté rien que pour voir.

 

Sa sociologue de Pervenche, toujours en recherche d'une connexion avec le peuple, avait tâté du terrain en arpentant les fermes du canton de la Chapelle et elle avait commis un mémoire sur « le métayage ou la survivance du servage au profit des grands latifundiaires de la noblesse ». Cet opus touffu, gentiment orienté, avait bien évidemment comblé d'aise son comte de père qui comptait parmi les plus grands propriétaires foncier de la région et, à ce titre, présidait la section des bailleurs ruraux. Pour Pervenche, Joseph Potiron, qui l'avait guidé et conseillé pour ce travail, représentait l'image vivante de la pertinence de sa thèse. Depuis elle faisait partie de la famille Potiron. Comme le disait Joseph, avec un sourire, c'était une vraie famille, solide, où le patriarche, Donatien, soixante et onze ans, avait appris à ses sept enfants  « à ne pas être des valets ». Un dimanche, avant de se rendre au manoir familial, ils avaient fait un détour chez les Potiron pour trinquer. Ceux-ci rentraient de la messe, connexion immédiate, ils n’avaient pas vu le temps passer et, ce jour-là, ils étaient arrivé  pompettes et les Enguerrand de Tanguy du Coët avaient déjeuné froid.

 

Dans ce pays, où la vigne voisine les vaches et des boisselées de blé, la cave est un lieu entre parenthèses. Au café, les joueurs d'aluette, se contentaient de baiser des fillettes, ce qui, dans le langage local, consiste à descendre, petit verre après verre, des petites bouteilles d'un tiers de litre à gros culot, emplies de Gros Plant ou de Muscadet. Ils picolaient. À la cave, le rituel était différent. Certes c'était aussi un lieu d'hommes mais le vin tiré directement de la barrique s'apparentait à une geste rituelle, c'était un soutien à la discussion. Dans la pénombre, le dimanche après-midi, tels des conspirateurs, les hommes déliaient leur langue. Ces peu diseux disaient ; ils se disaient, ce qu'ils n'osaient dire à l'extérieur. Échappant à la chape qui pesait sur eux depuis des millénaires, ils se laissaient aller à parler. Les maîtres et leurs régisseurs en prenaient pour leur grade, surtout ces derniers, supplétifs visqueux et hypocrites. Ces hommes durs et honnêtes se donnaient la main pour soustraire du grain à la part du maître. Le curé, lui aussi, recevait sa dose, en mots choisis, il ne faut pas blasphémer tout de même. Pour lui taper sur le râble, ils raillaient leurs bonnes femmes, culs bénites, auxiliaires dévotes de leur servitude. Et quand le vin les y poussait un peu, les plus chauds, versaient dans leurs exploits de braguette.

 

Chez les Potiron, la JAC aidant, leur prosélytisme un peu naïf, ce tout est politique, avait bien du mal à briser la carapace de servitude affichée par beaucoup de ces hommes méfiants vis à vis de l'action collective. Alors le Joseph il donnait l'exemple, se surexposait, ne se contentant pas de récriminer dans le dos des maîtres. Syndicalement il leur tenait tête. Qui peut imaginer aujourd'hui que le Joseph s'était trimballé dans le patelin avec un drapeau rouge flottant sur son tracteur ? On l'avait traité de communiste, ce qu'il n'était pas. Comme dans l'Espagne de la guerre civile les bonnes âmes lui ont taillé un costard de quasi-violeur de bonnes sœurs. Pour l'heure, avec les deux Bernard, nous dressions des plans de mobilisation pour la grande manif du 24 mai où les paysans, allant au-devant du mouvement populaire, investiraient la Centre-ville pour poser un acte symbolique, rebaptiser la place Royale : place du Peuple.

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